Publié par Resumen latinoamericano, le 13 juillet 2025
Contre le stéréotype, une voix tranchante apparaît et démantèle plusieurs lieux communs. Depuis l’épicentre où se concentrent une grande partie des promesses de développement national, le porte-parole de la communauté Lof Newen Mapu déploie une pensée à la fois ancestrale et actuelle, attire l’attention sur les continuités qui ne distinguent pas les gouvernements et met à mal le confort de certains activismes.
« Ici, il y a peu d’eau et beaucoup de vent ; si vous coupez la jarilla [plante], la terre s’envole ». Cette phrase est une magnifique métaphore de la lutte menée par le peuple mapuche. Lefxaru Nawel l’a prononcée en passant, alors que nous regardions par les grandes fenêtres de la ruka de sa communauté, située dans la banlieue de Neuquén.
La jarilla est un arbuste qui pousse sur le plateau patagonien. On le trouve partout. C’est la seule chose qui semble régner dans cette zone sèche et plate. Il semble inutile, car il n’a aucune valeur sur le marché. Cependant, notre interlocuteur affirme qu’il possède d’immenses propriétés médicinales. Il pense que lorsque les scientifiques les découvriront, ils vont se réjouir, et il espère que cela n’arrivera jamais.
Mais la jarilla n’est pas seulement la promesse vague d’une renaissance tellurique. C’est l’élément qui permet quelque chose de fondamental ici et maintenant : que la matière solide ne s’évapore pas dans l’air. L’image de la terre qui s’évapore symbolise de manière poétique une bataille dramatique. Tout d’abord, l’enjeu est l’eau. Lef nous montre un réservoir situé à un kilomètre de sa maison : « C’est l’usine de potabilisation qui alimente Neuquén, Plottier, Vista Alegre et Centenario. Nous avons installé les raccordements, nous avons amené les tuyaux jusqu’ici, il suffit d’ouvrir un robinet, mais ils nous ont dit non ». Sans eau, la terre se transforme en poussière et s’envole. Le lof n’a pas non plus de gaz de ville, bien qu’à quelques mètres de la limite, on puisse voir les témoins indiquant que le gazoduc qui alimente la zone métropolitaine de Buenos Aires passe par là. « Si un jour nous le coupons, ne vous fâchez pas », plaisante-t-il.
Lef est né en 1987 à Islas Malvinas, un quartier populaire de la capitale provinciale. Peu de temps auparavant, ses parents et plusieurs voisins avaient fondé une nouvelle communauté mapuche, la Lof Newen Mapu. Un peuple dont le potentiel était resté latent après la conquête par l’État argentin et les vagues successives de racisme et de répression commençait à renaître. Aujourd’hui, Lef est werken (porte-parole) de la communauté, membre de l’équipe d’avocats de la Confédération mapuche de Neuquén (la Confe) et fait partie du groupe de rock Puel Kona.
Il a récemment emménagé dans une maison à quelques mètres de la ruka, où il vit avec sa compagne, l’anthropologue mapuche Melisa Cabrapan Duarte, et ses enfants. Ce fut une grande réussite que de récupérer un lopin de terre, après un long conflit qui a commencé « en bas », dans la ville, et qui a évolué au gré des changements de fonctionnaires. Tout a commencé lorsqu’on leur a annoncé qu’ils devaient déterrer leurs morts du cimetière et les emmener ailleurs, car celui-ci était plein. Pour le peuple mapuche, déplacer les ancêtres est un grave affront, car cela interrompt un processus très important de communion avec la nature.
Nous sommes ici dans un lieu qui a marqué la municipalité dans ce qui se voulait une bonne pratique. Nous nous appuyons sur le droit constitutionnel qui reconnaît la propriété communautaire des terres, qui doivent être aptes et suffisantes pour le développement humain. Nous avons dit au maire : « Nous vivons en ville parce que vous nous avez expulsés de notre territoire ». Puis le gouvernement a changé et ils ont voulu nous expulser. Les premiers à arriver lorsque la police a été envoyée étaient les membres du syndicat des enseignants ATEN, dirigé par des péronistes, et les ouvriers céramistes, qui sont de gauche. Cela est très significatif de notre histoire ici, l’union avec des personnes qui ne sont pas mapuches. On voit là aussi l’éventail des alliances. Nous avons un débat avec ces secteurs, basé sur le soutien mutuel.
« La question économique doit être mise sur la table lorsqu’on discute de Vaca Muerta. Il faut montrer que c’est une destruction de la nature, mais aussi de l’économie. Entre 2013 et 2023, Neuquén s’est endettée comme jamais auparavant et montre un affaiblissement structurel de ses chiffres macroéconomiques ».
Comment mettre en pratique ce que dit la Constitution ? Parce qu’en général, elle semble être lettre morte, n’est-ce pas ?
La réforme constitutionnelle de 1994 a toujours été mauvaise pour les peuples autochtones. D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été dit que nous avons un droit inaliénable au territoire communautaire, et c’est un peu là le fond du débat politique. Nous sommes tout à fait d’accord avec l’ensemble du peuple mapuche sur ce point. Pour nous, il y a un moment historique antérieur, en 1992, lorsque les Mapuches du Chili et d’Argentine se sont réunis lors de la « Réunion de la nation mapuche ». C’est là qu’a été créé le drapeau mapuche. Souvent, de l’extérieur, on nous dit de modérer nos critiques, mais il n’y a rien d’audacieux à parler aujourd’hui de nation mapuche, d’autodétermination, car cela a été proposé il y a trente ans. Il y a peut-être des gens qui viennent seulement d’apprendre l’existence des Mapuches.
Que signifie reconstruire la communauté ?
Quand quelqu’un rejoint une communauté, il doit respecter l’ordre communautaire, et c’est un processus pour celui qui s’intègre. Il faut être prêt à se défaire d’un tas de choses de sa vie individualiste.
En quoi consiste se défaire d’un tas de choses ?
Par exemple, le fait que le terrain sur lequel se trouve ma maison ne m’appartient pas. Il appartient à la communauté. Je n’aurai jamais le titre de propriété. Et si je veux partir, la maison reste à la communauté. Mais si mon fils reste ici, elle lui appartient. Pour quelqu’un qui vit dans la propriété privée, c’est inconcevable. C’est très, très perturbant.
Les forces de la terre et de l’eau
Après une visite pédagogique de la Mecque pétrolière qui s’étend entre la capitale Neuquina et l’ancien village d’Añelo, rapidement transformé en une ville prospère et difforme, nous avons accueilli Lef avec un barbecue nocturne, afin de mener l’interview dans un style « crise » : parler longuement, dans une atmosphère de confiance et sans formalités, arrosé d’abondant vin. Cette scène a été rendue possible grâce à l’hospitalité de Cecilia Ambort et Jorge Aragón, artisans du projet agroécologique Janus, une sorte de verger au bord du fleuve Neuquén, près de la localité de Contraalmirante Cordero. Cet après-midi-là, le 18e séisme de l’année 2025 dans la province a été enregistré, selon l’Observatoire de sismicité induite.
Le jeune dirigeant mapuche était accompagné de son père Jorge Nawel, lonko de longue date au sein de la Confe, qui a fait office de chauffeur et n’a pas bu une goutte d’alcool. Le premier sujet de conversation a été le conflit du moment : l’arrêt d’un forage commencé par YPF sur le territoire de la communauté Kaxipayiñ. Quelques heures auparavant, nous avions visité cet endroit, situé au bord du lac artificiel Mari Menuco. Un kona nous a montré les travaux réalisés par l’entreprise publique à l’insu de la communauté, jusqu’à ce que celle-ci s’en aperçoive et expulse les ouvriers. Elle exige que le processus constitutionnel de consultation soit appliqué. Dans des déclarations ultérieures, le gouvernement provincial a déclaré qu’il tiendrait compte de cette revendication. « Ce serait un pas en avant très important pour nous », affirme Lef.
L’intention d’YPF est de procéder à près de 500 forages de fracturation hydraulique autour du Mari Menuko, source d’eau qui alimente les villes de Neuquén, Cipolletti et Plottier. Peut-on mener ce combat dans ce contexte politique ?
Cette cause est opportune car elle montre à quel point ils sont dérangés, de vouloir forer 500 puits à côté de l’endroit où on prend notre eau. Et c’est l’impunité dont jouit aujourd’hui Paolo Rocca. Nous le citons parce qu’il est responsable d’une grande partie de ce qui se passe en Argentine et que personne n’en parle. Ils s’emparent de YPF, qui est une entreprise publique et qui, selon nous, doit exister, et la cooptent pour leurs affaires. Cela montre également comment les compagnies pétrolières gouvernent, car c’est la discussion difficile que nous avons eue avec nos camarades péronistes : leurs gouvernements ont toujours servi les intérêts extractivistes. Cela a commencé avec le kirchnérisme, puis est venu Macri, suivi d’Alberto et maintenant Milei.
Il y a une ligne de continuité évidente. Sans oublier la gravité du fait que l’extrême droite gouverne, à cause de la répression, de la question énergétique, mais aussi de la situation économique. C’est quelque chose qui nous a valu de grands débats et des divergences avec les écologistes, car pour nous, la question économique doit être mise sur la table lorsqu’on discute de Vaca Muerta. Il faut montrer que c’est une destruction de la nature, mais aussi de l’économie. Entre 2013 et 2023, Neuquén s’est endettée comme jamais auparavant et affiche un affaiblissement structurel de ses chiffres macroéconomiques.
Que se passe-t-il si c’est économiquement avantageux mais écologiquement insoutenable ?
L’extension de la frontière hydrocarbure, même au-delà des villes, et une multitude d’autres problèmes tels que les tremblements de terre, les déchets pétroliers, la pollution et la pénurie d’eau doivent être liés à la question économique, surtout en période de crise économique pour la population, car sinon, l’environnement peut sembler futile. Et nous l’avons constaté lorsque vous discutez avec une personne qui est victime de la pollution, elle vous dira souvent qu’elle se soucie de l’eau, mais qu’elle se soucie davantage de ce que son enfant va manger. Parfois, les écologistes de la ville ne tiennent pas compte de ces raisonnements. Et c’est un bras de fer très difficile où nous essayons de défendre les territoires, mais aussi de permettre aux gens de vivre sur place.
Bien sûr, et pour cela, il faut pouvoir s’articuler d’une manière ou d’une autre avec l’économie capitaliste ?
Ici, la conquête du désert s’est terminée il y a 130 ans, mais ensuite, le peuple mapuche a survécu et s’est installé sur ces terres qui sont hostiles selon la perception générale, mais où il y a beaucoup de vie. Il faut démontrer que cet endroit est habitable, que des communautés peuvent s’y développer et qu’il ne doit donc pas être détruit. Mais le romantisme seul ne suffit pas pour soutenir la lutte. « Non, vous ne pouvez pas creuser un puits ici parce que j’ai 20 jarillas ». C’est là que nous nous heurtons parfois aux écologistes de Neuquén, parce qu’ils vous disent depuis leur appartement du centre-ville comment vous devez vivre. Il s’agit d’être le plus synergiques possible et pour cela, ils doivent abandonner l’idée qu’ils vont nous sauver.
« YPF est la pire entreprise pour ceux qui vivent dans ces territoires, en raison de la façon dont elle est gérée. Ce n’est pas un hasard si elle est prise pour cible, car ils savent que la population est fière d’YPF ; c’est pourquoi ils la choisissent pour mener leurs principales affaires louches ».
Vous êtes au cœur du principal vecteur d’accumulation de capital en Argentine aujourd’hui, la grande promesse qui permettra de résoudre tous les problèmes. Peut-on résister à cette nouvelle campagne de modernisation ?
C’est une période d’intensification du pillage et de la dépendance au pétrole, qui montre comment les entreprises gouvernent désormais directement les pays. C’est la mainmise des entreprises sur les États. Elles ne font plus pression pour obtenir de meilleures conditions commerciales par le biais de lois, elles placent désormais directement le directeur de la compagnie pétrolière au gouvernement. Milei est un personnage mineur, car ce sont eux qui prennent les décisions, ils ont rédigé le RIGI, la réforme du travail, ils ont rédigé la nouvelle réglementation des compagnies pétrolières, ils se sont immiscés dans le ministère du Travail, dans le ministère de l’Énergie, dans l’Autorité interjuridictionnelle des bassins qui gère les fleuves, et dans YPF. Aujourd’hui, ce n’est pas Milei qui nous gouverne, ce n’est pas Libertad Avanza, ce sont eux. Les politiciens sont des personnages circonstanciels qui jouissent aujourd’hui d’une popularité temporaire et seront oubliés demain, mais ceux qui consolident leurs affaires à moyen terme sont les entrepreneurs. Nous ne voyons pas le visage de toutes ces entreprises, car elles utilisent également YPF, par exemple, pour faire le sale boulot.
YPF serait-elle comme un cheval de Troie pour les entreprises ?
YPF est la pire entreprise pour ceux qui vivent dans les territoires, en raison de la façon dont elle est gérée. Ce n’est pas un hasard si elle est prise pour cible, car ils savent que la population est fière d’YPF ; même dans l’inconscient collectif de nos aînés qui ont travaillé à l’époque de la première YPF, ce sentiment d’appartenance subsiste. C’est pourquoi ils la choisissent pour mener leurs principales affaires louches et payer leurs campagnes publicitaires. Ce n’est pas la même chose d’avoir YPF que Shell ou Chevron. Cette manipulation du nationalisme, d’un faux nationalisme, leur permet de dire « le fracking est à nous ». Aujourd’hui, une grande partie de la population argentine vous dit que « les Mapuches sont financés par les Anglais », mais c’est une affirmation qui n’a aucun fondement. Ce que nous devons faire savoir, c’est pourquoi nous luttons et ce que nous faisons. Mais il y a un manque de communication avec le porteño moyen, car ce lien est intermédié par la société médiatique, à qui il convient clairement que les Mapuches et les Argentins n’envisagent jamais une unité de destin, qu’ils soient opposés. Nous pensons que nous sommes des alliés potentiels dans la lutte pour la libération, non seulement du peuple mapuche, mais aussi du peuple argentin, car nous considérons également le peuple argentin comme un peuple opprimé. Pas opprimé culturellement ou racialement, mais opprimé par une élite oligarchique du pays qui a pris le contrôle et ne l’a jamais lâché.
Quoi de neuf pour les peuples originaires?
Les Mapuches sont la cible privilégiée du gouvernement d’extrême droite dans sa bataille culturelle contre tout ce qui remet en question l’ordre occidental et chrétien. Le racisme émane des plus hautes sphères de l’État national et des plans de militarisation sont annoncés. Pour l’instant, ils n’ont qu’un caractère intimidatoire, mais si le conflit s’intensifie, ils pourraient se concrétiser.
La Confe possède cependant une longue expérience d’organisation patiente qui lui confère une certaine cohérence, même si plusieurs communautés flirtent avec le pouvoir politique, quel que soit celui qui occupe les fauteuils du palais. L’hétérogénéité génère des tensions, mais aussi un enracinement. Il existe six conseils régionaux dans la province, qui regroupent 65 communautés au total. Newen Mapu et Kaxipayiñ font tous deux partie de la région Xawvn Ko, qui couvre tout l’est de Neuquén et est limitrophe de Río Negro, La Pampa et Mendoza. Récemment, les représentants mapuches des quatre provinces ont commencé à négocier, ce qui enthousiasme beaucoup les Nahuel.
Ce pari sur la construction de leurs propres institutions est ce qui distingue les Mapus de Neuquén de ceux qui vivent à Chubut, qui se méfient des bureaucraties autochtones et refusent de s’intégrer à l’État argentin. Pour Lef, ce n’est pas un hasard si Patricia Bullrich et la droite locale ont choisi Jones Huala comme référence du peuple mapuche, même s’il est très peu représentatif. L’objectif est de construire l’image du Mapuche terroriste. Comment éviter ce piège ? Et comment éviter que le découragement ne s’installe ?
« Milei est venu traiter toute la population argentine comme les gouvernements précédents ont traité les peuples autochtones. Te dire que tu n’as aucune garantie, que je vais te passer dessus et que personne ne te défendra ; que rien de ce que tu revendiques comme un droit n’existera de la part de l’État. Il n’y a donc rien à attendre du pouvoir judiciaire, ni du Congrès, ni de la structure de pouvoir conventionnelle. C’est pourquoi beaucoup de gens ressentent une incertitude et une angoisse qui ne nous touchent pas, car nous vivons toujours un peu dans cette situation. D’autre part, cela montre à quel point la lutte des peuples autochtones est antisystémique, car elle propose une autre façon de faire les choses, tout en révélant l’ignorance de toute la classe dirigeante, non seulement à l’égard du peuple mapuche, mais aussi des Qom, des Guaranis, des Wichís, et cette sous-estimation qui apparaît souvent chez ceux qui nous soutiennent, je veux parler des progressistes, qui essaient de nous infantiliser.
Cependant, vous avez toujours su vous intégrer habilement dans les dynamiques institutionnelles et obtenir des avancées. Le fait d’avoir un gouvernement libertaire ne vous affecte-t-il pas également ?
Il est certain que la marge de manœuvre dont nous disposons en matière d’accord et de négociation avec un gouvernement péroniste n’existe pas avec un gouvernement de ce type. Mais il y a aussi la gouvernance provinciale, qui est la même depuis que Neuquén est Neuquén, il y a 65 ans, car le Mouvement populaire neuquino (MPN) a toujours gouverné et reste aujourd’hui au pouvoir par l’intermédiaire de Figueroa, un courant nouveau mais qui maintient le même statu quo. Il ne faut pas être stupide et dire que cela ne nous affecte pas, car les mesures économiques, le RIGI, la loi Bases, les superpouvoirs, tout cela nous affecte directement et pleinement. Ce à quoi je fais référence, c’est l’attitude que nous adoptons face à cela. Je vois beaucoup de regret, de frustration, de douleur, un certain défaitisme. Cela nous paralyse moins parce que nous avons également ressenti la rigueur des gouvernements péronistes, qui ont déclaré notre territoire zone de sacrifice au nom de la souveraineté énergétique. Et cela nous détruit tout autant que si vous le faites au nom de l’efficacité entrepreneuriale, comme le proposent les libéraux et les libertariens. Nous avons eu en Argentine un Congrès à majorité progressiste automatique, qui avait la possibilité de voter une loi sur la propriété communautaire et ne l’a pas fait. Parce qu’il y a toujours des problèmes plus graves ou plus importants, parce qu’ils ont regardé le rapport de forces, une foule d’arguments que nous pensons qu’il faut abandonner. Espérons que l’un des enseignements du gouvernement Milei sera que nous ne parlions plus de rapport de forces. Que nous réfléchissions à un projet à long terme qui nous soit propre et que nous ne cherchions pas d’excuses pour nous convaincre que tout ce dont nous rêvons aujourd’hui n’est en réalité pas possible. C’est là une médiocrité absolue qui a caractérisé la direction politique et partisane argentine.
« Nous avons eu un Congrès avec une majorité progressiste automatique, qui avait la possibilité de voter une loi sur la propriété communautaire et ne l’a pas fait. Parce qu’il y a toujours des problèmes plus graves ou plus importants, parce qu’ils ont regardé le rapport de forces, un tas d’arguments que nous pensons devoir abandonner ».
On a l’impression d’être à la fin d’un cycle, ce qui est plus lourd qu’un simple changement de gouvernement. La question est de savoir comment lutter et élaborer des stratégies politiques alors qu’il n’existe peut-être plus de cadre démocratique. Cette situation est-elle nouvelle pour vous ?
C’est ce que je disais tout à l’heure : la plupart des secteurs, même ceux qui ont été historiquement négligés comme la communauté LGBTIQ+, ont pu revendiquer des avancées ces dernières années ; ce n’est pas le cas des peuples autochtones. Il n’y a pas de politique concrète dont on puisse dire « ici, nous avons eu quelque chose qui a fait la différence ». Je le constate chez les anciens Mapuches qui parlent avec nostalgie de l’époque d’Allende, lorsqu’il a mené la réforme agraire, donné des titres de propriété aux communautés indigènes et mis fin au latifundisme. Je peux parler en tant que voisin qui a grandi dans un quartier marginalisé et qui a bénéficié de nombreux droits sociaux. Mais cette démocratie argentine qui est aujourd’hui en crise ne nous a jamais représentés. Nous n’avons absolument rien obtenu sans actions directes, sans nous battre. C’est pourquoi il ne reste aux peuples que la lutte, comme vous l’avez vu aujourd’hui à Lof Kaxipayiñ, qui, le 17 mars, a arrêté l’entreprise et l’a expulsée. Il n’y a pas d’autre solution.
Jorge Nawel suit la conversation, écoute, passe en revue l’histoire, la soutient. Le père et le fils gèrent tous deux un équilibre tacite pour se donner la parole. Il intervient ici pour suivre le fil de la pensée :
« Mais nous ne nous sommes jamais, jamais isolés du mouvement social, nous avons toujours cherché cette protection de la société neuquina, des alliés prévisibles ou non face à chaque situation, en recherchant des accords et des alliances. C’est pourquoi, chaque fois qu’il y a eu un danger, la société a réagi.
Lef, à son tour, conclut :
« Cela s’est construit au fil des ans. Grâce aux conseils de nos aînés, à leur ouverture d’esprit et à ce qu’ils nous ont enseigné. Et aussi à la compréhension que tout ne se joue pas toujours dans le gouvernement conjoncturel, car certaines choses vont perdurer dans le temps. C’est pourquoi il faut créer de larges alliances, par exemple autour du danger de la pollution de l’eau. Qui est notre allié potentiel dans cette lutte ? Toute personne qui boit de l’eau. Il faut donc mettre de côté une certaine tendance au sectarisme que nous avons tous, qui consiste à penser que la lutte principale est celle qui me concerne et non les autres.