Publié par Ana Cristina Alvarado, Desinformémonos, le 29 septembre 2025
L’Équateur connaît une nouvelle grève organisée par la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (CONAIE). Bien que le déclencheur ait été la suppression de la subvention sur le diesel, qui a entraîné une augmentation du prix du carburant de 1,8 à 2,8 dollars le gallon, le mouvement autochtone rejette également l’expansion de la frontière pétrolière sur les territoires des peuples et des nationalités et exige la révocation de la licence environnementale des projets miniers à Palo Quemado, Las Naves et Kimsakocha.
« Le gouvernement national parle de conservation et de lutte contre le changement climatique lors de la Semaine du climat à New York [du 21 au 28 septembre], mais à Quito, des blocs pétroliers sont mis aux enchères », souligne Diana Chávez, responsable des affaires internationales de l’Organisation Kichwa de Pastaza (PAKKIRU, selon son acronyme en kichwa). Elle fait référence à l’annonce de la Ronda Petrolera Suroriente, qui couvre 21 blocs pétroliers et recouvre à 91 % les territoires autochtones de sept nationalités des provinces amazoniennes de Pastaza et Morona Santiago.
En ce qui concerne l’opposition à l’exploitation minière, Lauro Sigcha, président de la Fédération des organisations autochtones et paysannes de l’Azuay (FOA), dans le sud des Andes équatoriennes, affirme : « Kimsakocha est un combat historique. Nos grands-mères nous ont légué la résistance, l’obligation de protéger l’eau au péril de notre vie ».
La CONAIE, à laquelle se sont jointes des organisations sociales depuis le début de la grève le 22 septembre dernier, rejette également la consultation populaire convoquée par le président Daniel Noboa. Le référendum vise à autoriser l’installation de bases militaires étrangères, à supprimer l’obligation pour l’État d’allouer des ressources aux organisations politiques et à ouvrir la voie à une assemblée constituante.
« Il y a deux possibilités : soit un danger pour les droits, soit que le gouvernement se laisse distraire par son projet constitutionnel et néglige les besoins du pays », estime l’analyste Caroline Ávila. La Constitution en vigueur, datant de 2008, reconnaît non seulement les droits collectifs des peuples et des nationalités autochtones, qui leur confèrent le droit de prendre des décisions concernant leurs territoires afin d’éviter les impacts des industries extractives et de préserver leur culture, mais elle a également été la première au monde à reconnaître les droits de la nature.
Une autre revendication est le retour de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 12 %. La TVA a été portée à 15 % en avril 2024 afin de lutter contre la criminalité croissante en Équateur, qui est une zone de transit pour le trafic de drogue et où l’exploitation minière illégale est en expansion. « Nous ne voyons ni actions ni résultats », déplore Chávez. La dirigeante dénonce les attentats à la bombe perpétrés à Pastaza et la découverte de tracts annonçant que le gang criminel Los Lobos exigera des « vaccins » – nom donné aux extorsions – aux commerçants.
Kimsakocha fait reculer Noboa
Dans le sud du pays, pendant la première semaine de grève, des Autochtones et des paysans se sont rassemblés au kilomètre 1 de la Panaméricaine Sud. Ils portaient des drapeaux bleus sur lesquels on pouvait lire « Défenseurs de l’eau. L’eau vaut plus que l’or ». Ils demandent la révocation de la licence environnementale du projet minier Loma Larga, concédé à la société canadienne Dundee Precious Metals et situé dans le páramo de Kimsakocha.
C’est là que naissent les fleuves Yanuncay, Tarqui, Tomebamba, Machángara et Norway, qui alimentent en eau des milliers de personnes dans le sud du pays et irriguent au moins 2 000 hectares de terres agricoles, d’élevage et de production laitière. « Cette région produit des milliers de litres de lait, de protéines animales, de viande et de céréales », a déclaré Lauro Sigcha lors d’un entretien avec Mongabay Latam.
Le leader a dénoncé la présence de plus de 200 policiers et militaires à proximité du lieu de la manifestation, qui auraient reçu l’ordre d’arrêter les manifestants, en particulier lui-même et Yaku Pérez, homme politique et militant écologiste reconnu. À Imbabura, au nord des Andes, 12 manifestants ont été arrêtés, accusés de terrorisme et transférés dans les prisons de Portoviejo et d’Esmeraldas. Dans cette dernière, un massacre a fait 17 morts le 25 septembre.
Malgré les accusations de répression, principalement le long du couloir interandin, la lutte pour la protection de Kimsakocha semble porter ses fruits. Le 25 septembre, le gouvernement national a annoncé qu’il suspendait le permis environnemental du projet aurifère Loma Larga. Cette décision fait suite à une marche massive organisée le 16 septembre, avant la grève nationale.
Ce jour-là, des milliers de manifestants venus des campagnes et des villes ont envahi les rues de Cuenca, la capitale de l’Azuay, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Kimsakocha, on n’y touche pas ». Les habitants de Palo Quemado, dans le Cotopaxi, et de Las Naves, dans le Bolívar, au centre du pays, se sont joints à la marche. « Nous allons également vous accompagner et nous allons tisser la résistance contre l’exploitation minière », a déclaré Sigcha.
Les manifestants de l’Azuay ont exigé que l’exécutif ne passe pas outre la décision des habitants des cantons de Girón et de Cuenca, qui ont respectivement dit non à l’exploitation minière lors de référendums populaires en 2019 et 2021.
En réponse, le gouvernement a exigé de la municipalité de Cuenca et de la préfecture d’Azuay des informations sur les impacts que le projet aurait. Cette mesure a été largement critiquée, car le gouvernement central a la compétence d’éviter les risques environnementaux causés par les projets autorisés. En outre, la présidence a indiqué que les gouvernements locaux devront répondre des informations fournies.
« Ce n’est que lorsque nous verrons que la licence est abrogée, que la société minière quitte le campement et que Kimsakocha est déclaré patrimoine des humains et des non-humains que nous pourrons être tranquilles », a déclaré Sigcha. Un jour après l’annonce de la présidence, Cuenca a déclaré le 16 septembre « Journée de la lutte pour l’eau et la protection des páramos ».
Mongabay Latam a interrogé les sociétés minières Dundee Precious Metals, Atico Mining et Curimining sur leur position face à la demande de la CONAIE et à la récente annonce du gouvernement, mais elles n’ont pas répondu avant la clôture de l’article. Mongabay Latam a également demandé au ministère de l’Environnement et de l’Énergie (MAE) quand la révocation du permis environnemental pour Loma Larga serait effective, mais n’a pas obtenu de réponse.
Pastaza se soulève contre le pétrole
Quelques semaines avant la grève, à Pastaza, au cœur de l’Amazonie équatorienne, les sept nationalités autochtones qui y vivent ont décidé que la province serait déclarée libre de toute exploitation extractive, selon Diana Chávez, dirigeante du PAKKIRU et coordinatrice de cette initiative. Cependant, face à la menace de l’appel d’offres pour des blocs pétroliers qui empiètent sur les territoires des Kichwas, des Shiwiar, des Waorani, des Andwas, des Shuar, des Achuar et des Sáparas, les nationalités autochtones ont décidé de se joindre à la grève, à l’exception des Shuar.
C’est pourquoi la revendication centrale de cette région du pays est l’arrêt de la Ronda Petrolera Suroriente et de la Ronda Petrolera Subandina. Pour faire entendre leur revendication, ils ont bloqué pendant la première semaine de grève la Troncal Amazónica, qui relie le nord et le sud de la région.
Pendant ce temps, des représentants du peuple kichwa et de la nationalité waorani se sont rendus à la Semaine du climat à New York pour dénoncer les intentions de Noboa d’étendre la frontière pétrolière. « L’Amazonie n’est pas à vendre », ont déclaré dans des vidéos diffusées dans des camions à travers la ville des leaders autochtones et des célébrités mondiales telles que Jane Fonda et Harrison Ford.
La Constitution équatorienne exige qu’avant d’accorder des concessions, les peuples et nationalités autochtones concernés soient consultés pour savoir s’ils acceptent que des activités extractives ou autres ayant un impact sur leurs territoires y soient menées. Cependant, l’Équateur ne dispose pas de réglementation pour appliquer cette obligation, bien que le pays ait ratifié en 1998 la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les droits des peuples autochtones.
Mongabay Latam a demandé au MAE plus de détails sur l’appel d’offres. Il a également demandé si le processus se poursuivrait malgré l’existence de deux jugements, l’un de la Cour interaméricaine des droits humains en faveur de Sarayaku – un peuple de PAKKIRU , et l’autre de la Cour provinciale de Pastaza en faveur de la nationalité waorani de Pastaza, qui reconnaissent que le droit à la consultation préalable a été violé lorsque, à différents moments, des blocs pétroliers ont été concédés sur leurs territoires sans le consentement des autochtones. L’institution n’a pas répondu.
PAKKIRU soutient la résistance de Las Naves et Palo Quemado et, bien qu’ils n’aient pas encore pris contact avec les habitants de Kimsakocha, Chávez affirme qu’il s’agit simplement de tisser ces réseaux. Même si Pastaza n’est pas encore menacée par des projets miniers, ses habitants s’inquiètent de l’avancée de l’exploitation minière illégale, une activité illicite que l’État n’a pas réussi à contrôler et qui se développe rapidement, principalement dans le nord et le sud de l’Amazonie.
La dirigeante raconte que des mineurs illégaux sont arrivés sur le territoire du peuple Kichwa du Kawsak Sacha, où vivent également des peuples autochtones en isolement volontaire (PIAV), avec des canoës, des machines et du matériel pour extraire l’or des rivières à la frontière avec le Pérou. La surveillance des communautés de la région a permis de donner l’alerte et d’expulser les mineurs. Cependant, face à l’abandon de ces zones par l’État, la menace persiste, affirme Chávez.
Dénonciation de la répression et des abus
Après l’appel à la grève du 18 septembre, plusieurs leaders, dirigeants autochtones et organisations sociales ont dénoncé le blocage de leurs comptes bancaires, parmi lesquels le compte institutionnel de la CONAIE, celui de Marlon Vargas, président de la confédération, celui de la Fondation Pachamama, qui travaille sur des programmes de conservation et de défense des droits des peuples et nationalités autochtones, et celui de sa présidente, Belén Páez.
« La question des comptes est fondamentale. Ces groupes sont soutenus par des personnes qui cherchent à déstabiliser et à semer le chaos », a déclaré John Reimberg, ministre de l’Intérieur, dans une interview accordée à un média local.
Caroline Ávila affirme que les comptes du Cabildo del Agua de Cuenca et de Yasunidos Cuenca, deux collectifs dédiés à la protection de l’environnement, ont également été bloqués. « Le fait que le gouvernement utilise ce type de stratégies est terrible, dangereux, contraire à l’éthique, mais c’est astucieux », déclare l’analyste. Ávila souligne que les autorités gouvernementales sont les seules à bénéficier de ces blocages, car elles empêchent ainsi les Autochtones, les organisations et les collectifs de poursuivre leurs actions.
De plus, le mouvement autochtone a alerté dans l’après-midi du 26 septembre sur une enquête préalable du parquet général de l’État contre une cinquantaine de dirigeants et de membres de collectifs pour enrichissement injustifié présumé. Parmi les personnes faisant l’objet de l’enquête figurerait Paolina Vercoutere, femme kichwa et vice-préfète d’Imbabura.
Bien que la police et les forces armées aient réprimé les manifestants dans différentes régions du pays, Imbabura, dans le nord des Andes, reste en état d’alerte. Les peuples autochtones de la province se sont soulevés contre les mesures économiques qui touchent les populations les plus vulnérables. Cependant, dès le premier jour, la répression policière a été « assez forte », selon la dirigeante Alexandra Imbaquingo.
Des vidéos circulent sur les réseaux sociaux montrant des militaires envahissant les maisons des communautés, lançant des bombes lacrymogènes et arrêtant violemment des manifestants. L’un des cas qui a retenu l’attention du public est l’arrestation de Gina Cahuasquí, une jeune femme qui distribuait de l’eau aux manifestants lorsque les policiers ont commencé à tirer des bombes lacrymogènes sur la foule. La jeune femme kichwa s’est approchée pour parler aux policiers, mais ceux-ci l’ont arrêtée. Gina Cahuasquí a depuis été libérée.
Les forces de l’ordre n’interviennent que lorsque des actes violents sont commis, a déclaré John Reimberg, ministre de l’Intérieur, à la télévision nationale. « Lorsqu’il s’agit de manifestations pacifiques, les forces de l’ordre n’ont pas à intervenir », a-t-il ajouté. Il a également indiqué qu’au 26 septembre, 95 personnes avaient été arrêtées, dont plusieurs ont été poursuivies pour des actes présumés de terrorisme.
Le transfert de 12 manifestants vers des prisons où des groupes criminels ont perpétré au moins 19 massacres entre 2021 et 2025, faisant environ 700 morts, a également suscité des inquiétudes, selon l’enquêteur Leonardo Ponce dans une interview accordée à DW Español.
Ces événements, y compris la suspension de la chaîne du Mouvement autochtone et paysan de Cotopaxi, ont conduit le Forum permanent des Nations unies chargé des questions autochtones à lancer, le 27 septembre, un appel urgent pour protéger les droits des peuples autochtones en Équateur.
De même, Gina Romero, rapporteuse de l’ONU sur la liberté d’association et d’assemblée, a déclaré sur le réseau social X que « le gouvernement de Daniel Noboa semble avoir lancé une persécution contre la société civile, les mouvements sociaux et les manifestations dans le pays », et a donc demandé que « les normes internationales de protection des assemblées et des réunions pacifiques soient respectées ».
Malgré les dénonciations de répression, les manifestations se poursuivaient samedi 27 septembre à Imbabura, dans l’attente de la libération des personnes arrêtées. Les barrages routiers étaient également maintenus à Pastaza. Dans l’après-midi de vendredi dernier, les organisations autochtones, paysannes et sociales d’Azuay se sont réunies pour définir de nouvelles actions de résistance.