HomeCommuniquéLes communautés Awajún défendront le fleuve Marañón des hydroélectriques

Les communautés Awajún défendront le fleuve Marañón des hydroélectriques

Servindi, 22 février 2016.
Les communautés du peuple Awajún, situées dans le bassin du Haut Marañón et de ses rivières affluentes, se sont résolues à défendre fermement l’intégrité environnementale, paysagiste et écosystémique de tout le bassin du fleuve Marañón et rejeter tous les projets hydroélectriques de Rentema (Lorena), Escurregraga et Manseriche.

La décision s’est prise dans le cadre d’un événement qui a réuni les autorités communautaires à Yamayakat le 7 février et durant lequel s’est constitué un Comité de lutte contre les menaces de projets hydroélectriques sur le Marañón dans le territoire du peuple Awajún (Comité de Lucha frente a las Amenazas de Proyectos de Hidroeléctrica del Marañón en el Territorio del Pueblo Awajún).

Les communautés appartenant aux provinces de Condorcanqui et Bagua du département d’Amazonas, considèrent non viables à tous les niveaux les dits projets hydroélectriques et défendront le bassin du Marañón et ses rivières affluentes : Santiago, Dominguza, Nieva, Cenepa, Imaza y Chiriyacu.

Les communautés indiquent qu’elles unifieront la résistance du peuple Awajún de long en large du bassin du Bas, Moyen et Haut Marañón, additionnant leurs forces celles de toutes les communautés et organisations représentatives des bassins de Nieva, Dominguza, Cenepa y Chiriyacu.

Elles coordonneront également leurs actions de mobilisation sociale avec le peuple Wampis du fleuve Santiago à travers leur Gouvernement territorial autonome.

Défense du système hydrique et des écosystèmes de forêts

Dans leur communiqué, les communautés signalent leur ouverte opposition à toute mesure entreprise par le gouvernement qui tente de sacrifier, au nom du développement, le système hydrique de l’Amazonie et l’écosystème de sa forêt.

Le but de la lutte est de défendre et protéger la forêt riveraine dans toute son intégrité afin d’éviter que sa dégradation n’aggrave les risques dévastateurs sur le climat.

De cette manière, ils visent à préserver le débit naturel du fleuve Marañón afin de garantir la progression normale de la faune aquatique et conserver le cycle de reproduction des espèces migratoires comme le zungaro, le boquichico, la gamitana, et la lisa, toutes des espèces qui apportent en leur biomasse une forte partie d’aliments riches en protéines à haute valeur biologique.

Les communautés ont ajouté que la construction de centrales hydroélectriques entraîne la disparition des berges riches en engrais pour l’agriculture, ce qui aura un impact drastique sur l’approvisionnement en aliments.

De plus, les gigantesques murs de contention empêcheront la migration naturelles des poissons, ce qui affectera la pêche qui correspond à la source primaire de nutriments pour les communautés touchées, aggravant ainsi la malnutrition des populations autochtones.

Dénonciation d’actions de l’exécutif

Les communautés ont annoncé qu’elles auraient recours à toutes les mesures nécessaires pour faire déroger le Décret Suprême n°020-2011-EM qui déclare d’intérêt national le développement intégré de 20 centrales hydroélectriques du Marañón, pour être non viable pour l’environnement et socialement insoutenable.

Elles soutiennent les recommandations du Groupe de travail sur les centrales hydroélectriques au Marañón du Congrès de la République et l’avis de la Commission des relations extérieures qui recommande d’archiver le projet de Résolution législative qui cherchait à ratifier l’accord énergétique conclu entre le Pérou et le Brésil pour être un «danger imminent à la sécurité environnementale».

Elles dénoncent que le gouvernement actuel, à travers le Ministère de l’énergie et des mines, tente d’imposer les projets hydroélectriques à travers des processus non transparents et en diffusant des messages visant à confondre la population locale.

Tel est le cas de la concession temporaire accordée à Amazonas Energias SAC pour réaliser les études de faisabilité de la future centrale hydroélectrique Lorena qui, loin d’informer sur les fins du projet, prétend faire croire aux membres de la communauté que leur présence sur la zone n’est pas liée à la construction du barrage.

Les représentants des communautés Awajún font appel à toute la population touchée par la dégradation de l’environnement et à tous les organismes environnementaux et de défense des droits humains à s’unir afin de d’appuyer la défense de leurs droits collectifs au territoire et à ses formes de vie, ainsi qu’à défendre le droit à un développement propre et durable.

Lire à continuation le communiqué complet :

Déclaration face aux menaces de projets de constructions de barrages hydroélectriques sur le fleuve Marañón

Nous qui plus bas souscrivons, autorités des communautés des peuples Awajún situées dans le bassin du Haut Marañón et ses affluents, appartenant aux provinces de Condorcanqui et Bagua du département d’Amazonas, sommes réunis pour évaluer de manière collective les projets hydroélectriques qui se sont convertis en menaces pour les habitants des rives du Marañón et de ses rivières affluentes. Ainsi, nous nous prononçons devant le pays, rendant publique notre unanime position en tant que peuples natifs propriétaires de ces terres et territoires, selon les termes suivants :

Le 16 juin 2010, les chancelleries du Pérou et du Brésil ont signé un traité bilatéral nommé «Accord entre la République du Pérou et le gouvernement de la République fédérative du Brésil pour l’approvisionnement d’électricité au Pérou et l’exportation des surplus au Brésil».

Comme conséquence de cet accord, le gouvernement péruvien a expédié le décret suprême n°020-2011-EM, déclarant d’intérêt national le développement intégré de 20 centrales hydroélectriques du Marañón. Il s’agirait des centrales : Vizcarra (140 Mw), Llata 1 (210 Mw), Llata 2 (200 Mw), Puchca (140 Mw), Yanamayo (160 Mw), Pulpería (220 Mw), Rupac (300 Mw), San Pablo (390 Mw), Patas 1 (320 Mw) y Patas 2 (240 Mw), Chusgón (240 Mw), Bolívar (290 Mw), Balsas (350 Mw), Santa Rosa (340 Mw), Yangas (330 Mw), Pión (350 Mw), Cumba (410 Mw), Rentema (1,500 Mw), Escurrebraga (1,800 Mw) et Manseriche (4,500 Mw). [1]

Face à cette situation, le Groupe de Travail sur les centrales hydroélectriques sur le Marañón du Congrès de la République, constitué à cet effet, s’est prononcé en juin 2012 comme suit :
«L’Accord énergétique souscrit le 16 juin 2010 entre le Pérou et le Brésil a des implications au niveau de la sécurité énergétique, son application entrainerait de graves conséquences environnementales pour l’Amazonie péruvienne et affecterait les droits de la population locale et native. (…) Postuler à priori que des méga-centrales hydroélectriques doivent être considérées comme génératrices d’énergie «propre» est une erreur technique et politique». De plus, il a invoqué au Congrès péruvien que «l’Accord énergétique Pérou-Brésil ne devrait pas être ratifié par le Congrès de la République du Pérou. Le Congrès de la République du Pérou détient la responsabilité de déroger le précipité D.S. 020-2011-EM du 26 avril 2011 pour conjurer un danger imminent de sécurité environnementale et corriger une erreur politique commise par l’État».

Durant ce même mandat, en mai 2014, la Commission de relations extérieures du Congrès de la République a annoncé le refus d’approuver le Projet de résolution législative n°391/2011-PE qui proposait approuver l’«Accord entre la République du Pérou et le gouvernement de la République fédérative du Brésil pour l’approvisionnement d’électricité au Pérou et l’exportation des surplus au Brésil», recommandant ainsi son ultérieur envoi à l’archive.

En dépit de ces manifestations qui mettent de l’avant le rejet des hautes autorités qui représentent notre nation en recommandant dans certains cas la dérogation du D.S. nº 020-2011-EM et dans d’autres le rejet du Projet de résolution législative n°391/2011-PE qui proposait d’approuver l’Accord entre la République du Pérou et le gouvernement de la République fédérative du Brésil pour l’approvisionnement d’électricité au Pérou et l’exportation des surplus au Brésil, l’Exécutif, en employant des processus non transparents à travers le Ministère de l’énergie et des mines, est en train d’imposer que ces projets se déploient en diffusant des messages visant à confondre la population locale.

Le cas est tel que par le biais de la Résolution ministérielle n°247-2015 – MEM/DM, le Ministère de l’énergie et des mines a octroyé la concession temporaire en faveur de AMAZONAS ENERGIAS S.A.C pour mener des études de faisabilité pour la future centrale hydroélectrique Lorena. Ce projet, qui représente également l’identité du futur barrage qui prévoit être installé sur le territoire du peuple Awajún, se situe en aval du pongo de Rentema, près du fleuve Marañón. La compagnie ayant reçu la concession temporaire ainsi que ses opérateurs, loin d’informer la population sur les conclusions que l’étude tente de prouver, a lancé une campagne de désinformation en prétendant faire croire aux habitants qu’une fois le mandat temporaire terminé, le projet hydroélectrique ne serait pas mené à bout, et que sa présence dans la région n’est pas liée avec la construction de barrages. Or, selon l’article 22° du Décret-loi n° 25844, Loi de concessions électriques, la concession temporaire est l’antichambre de la concession définitive pour le développement des activités électriques.

Des attitudes peu transparentes de ce type empêchent que la population native s’informe sur les méfaits qu’un barrage peut produire sur l’environnement et sur les territoires. La centrale de Rentema (maintenant Lorena), ainsi que celle d’Escurregraga et celle de Manseriche sont qualifiées de mégaprojets hydroélectriques qui offrent une meilleure production d’énergie électrique en termes de MW, et c’est pourquoi toute mesure prise par l’exécutif à leur effet devrait être de l’ordre de la connaissance publique dès le départ. Cependant, la situation actuelle oblige les communautés touchées par ces projets à prendre les mesures nécessaires non seulement par rapport au projet Lorena, mais également à étendre ces mesures sur les autres projets de centrales hydroélectriques.

Selon le document élaboré par le Ministère de l’énergie et des mines, nommé «Élaboration de résumés exécutifs et fiches d’études des centrales hydroélectriques potentielles pour l’exportation au Brésil», l’alternative B serait que la centrale hydroélectrique de Manseriche atteigne le niveau 351 m.s.n.m. Le pongo de Manseriche, la zone déterminée pour le futur barrage, à son état naturel a une hauteur 176 m.s.n.m. Si on compare l’information que nous donne la source citée plus haut, le débit de déversement vers les rivières affluentes nous projette un panorama plus que dévastateur étant donné que toute la population riveraine située à proximité de la rivière Nieva (embouchure de la rivière : 222msnm), de la rivière Cenepa (Huampami, capitale du district El Cenepa : 303 msnm), de la rivière Santiago (Galilea, capitale du district de la rivière Santiago : 192msnm) et du village de Imazita (347 msnm), aura disparu, entraînant près de 30 000 habitants à abandonner leurs terres et leurs lieux d’origine.

Nous savons à travers différentes sources qu’au Brésil, le barrage Belo Monte sur le fleuve Xingu a été la cause de l’exil de milliers de nos frères autochtones étant partis de leurs territoires. Loin d’améliorer leurs conditions de vie, ce déplacement les a amené à un appauvrissement non seulement parce qu’ils ont été privés de leur source primaire d’alimentation, mais aussi parce qu’on les a arrachés à leurs origines et détaché de leurs liens spirituels avec le territoire qui leur a donné leur propre identité culturelle.

Les projets de barrages qui maintenant nous gardent en œil pour, arrivé le moment donné, nous annoncer notre expulsion du territoire, nous causeront encore plus de douleur quand il faudra déterrer nos morts ou que nous devrons nous résigner malgré nos cris qui seront restés sous l’eau.

Avec la disparition des rives qui sont riches en engrais servant à cultiver, notre système d’approvisionnement quotidien en nourriture sera drastiquement affecté. En plus, avec l’empêchement de la migration naturelle des poissons à cause de la construction des digues, la pêche qui est notre principale source de nutriments se sera fortement affectée, aggravant ainsi la malnutrition infantile et de la population en général. L’expulsion de nos terres provoquera un changement chaotique dans nos relations sociales entre les familles expulsées qui tenteront d’occuper de nouveaux territoires. Ce chaos interne, généré par la recherche de meilleures méthodes de survie, offrira un panorama sombre où des perturbations directes modifieront drastiquement les conditions sociales, économiques, culturelles et spirituelles de la population. Avec celles-ci, nous entrerons dans une phase d’extinction de nos cultures qui sont la base incontournable de notre identité. Ceci sans compter qu’un débordement du barrage pourrait mener à une propagation de maladies inconnues.

La situation, qui nous réserve un futur incertain, non seulement affecte les autochtones situés sur les rives du fleuve Marañón et ses rivières affluentes, mais touche aussi le côté sensible du climat, dans ce cas les milliers d’hectares de forêt qui devront être sacrifiés par l’inondation des terres. Les conséquences de ce désastre ne sont pas prometteuses pour l’humanité et la communauté internationale qui luttent pour freiner le réchauffement climatique qui, selon le consensus scientifique, est un phénomène causé par l’homme. N’oublions pas que le gouvernement péruvien a démontré sa disposition à assumer ses obligations dans la lutte globale contre le changement climatique dans la 5e réunion du Dialogue de Petersberg sur le Climat (Allemagne).

Pout toutes les raisons expliquées plus haut et de manière unanime en mémoire de nos ancêtres, nous sommes résolus à :

– Rejeter irrévocablement les projets hydroélectriques de Rentema (Lorena), Escurrebraga et Manseriche. Ces projets sont totalement non viables sur tous les points.
– Recourir à tous les moyens nécessaires pour que le Décret suprême n° 020 – 2011 – EM, qui déclare d’intérêt national le développement intégré de 20 centrales hydroélectriques du Marañón, soit abrogé pour être non viable pour l’environnement et socialement insoutenable, en appui aux recommandations effectuées par le Groupe de travail sur les centrales hydroélectriques au Marañón du Congrès de la République et par l’avis de la Commission des relations extérieures du Congrès de la République qui a recommandé envoyer aux archives le projet de Résolution législative qui cherchait à ratifier l’Accord énergétique signé par les gouvernement du Pérou et du Brésil.
– Défendre avec fermeté l’intégrité environnementale, paysagiste et écosystémique de tout le bassin du fleuve Marañón et de ses rivières affluentes, Santiago, Dominguza, Nieva, Cenepa, Imaza y Chiriyacu. Nous nous défendrons à l’aide de tous les pouvoirs locaux que nous ont transmis nos ancêtres avant de soumettre notre dignité à des pouvoirs économiques qui, sans honte, prétendent dans leurs plans décider de notre futur comme si nous étions des citoyens de seconde catégorie.
– Lutter contre l’expulsion de nos terres et contre tout plan prétendant nous convaincre avec des incitatifs économiques ou des cadeaux voulant nous diviser. Nous mettrons de l’avant l’intérêt collectif de toutes les communautés Awajún habitant les provinces de Condorcanqui et Bagua en nous alliant avec la population non autochtone de la région qui sera aussi affectée par les projets de barrages de Nieva jusqu’à la rivière Chinchipe et Utcubamba.
– Unifier la résistance coutumière du peuple Awajún tout le long et large du bassin du bas, moyen et haut Marañón, unissant nos efforts avec toutes les communautés et organisations représentatives des bassins de Nieva, Dominguza, Cenepa y Chiriyacu, tout en coordonnant nos actions de mobilisation sociale avec le peuple Wampis du fleuve Santiago à travers leur Gouvernement territorial autonome.
– Défendre et protéger la forêt riveraine dans toute son intégrité afin d’éviter que sa dégradation n’aggrave les risques dévastateurs sur le climat. De plus, préserver le débit naturel du fleuve Marañón afin de garantir la progression normale de la faune aquatique et conserver le cycle de reproduction des espèces migratoires comme le zungaro, le boquichico, la gamitana, et la lisa, toutes des espèces qui apportent en leur biomasse une forte partie d’aliments riches en protéines à haute valeur biologique.
– Constituer un Comité de lutte contre les menaces de projets hydroélectriques sur le Marañón dans le territoire du peuple Awajún, pour des fins spécifiques qui conviennent à toutes les communautés du peuple Awajún. Ce comité aura comme principal objectif de préserver les intérêts collectifs du peuple Awajún menacé par les projets hydroélectriques sur le Marañón.
– Étendre cet accord vers la population non autochtone qui souffre des mêmes menaces le long du Marañón pour unir nos forces et rejeter en bloc les 20 projets hydroélectriques grâce à une mobilisation massive si les circonstances l’exigent. De plus, mettre fin à toute tentative de l’exécutif qui, travaillant de pair avec les compagnies intéressées, informe mal la population locale et utilise de vieilles tactiques de dissociation envers les leaders de nos peuples et communautés.
– Effectuer un appel ouvert à toute la population touchée par la dégradation de l’environnement et à tous les organismes environnementaux et de défense des droits humains à s’unir afin de d’appuyer non seulement la défense de nos droits collectifs au territoire et à ses formes de vie, mais aussi le droit de tous les péruviens et humains du monde à un développement propre et durable. Nous nous opposons ouvertement à toute mesure entreprise par le gouvernement qui tente de sacrifier, au nom du développement, le système hydrique de l’Amazonie et l’écosystème de sa forêt, ainsi qu’à toute politique ayant un effet dévastateur sur l’environnement et le climat.

Face à cette position que nous avons adoptée pour défendre notre territoire et l’environnement, nous ne sommes pas surpris de recevoir de la part de certaines sphères de la société et de certains politiciens des réponses comme «400 000 natifs ne peuvent pas dire à 28 millions de péruviens : tu n’as pas le droit de venir par ici». Or, nous affirmons que, de la même manière que nous défendons la nature et le climat pour le bien-être de l’humanité, nous lutterons dignement pour chaque arbre et, si nécessaire, nous sacrifierons nos vies avant de voir nos enfants mourir noyés.

Yamayakat, 7 février 2016.

[1] Communiqué du Groupe de Travail sur les centrales hydroélectriques sur le Marañón du Congrès de la République.

Río Marañon Sin Represas (Espanol) from Rocky Contos on Vimeo.