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Grondements dans la mine

Écologie. Selon la sociologue, le retrait des impositions à l’industrie minière renforcerait le modèle du kirchnerisme, contrôlé par les grandes entreprises. Il n’y a ni consultation publique ni débat responsable sur le sujet, dit-elle.

La récente fin de l’imposition pour les entreprises minières, à la suite d’un décret, met en évidence l’importance que le gouvernement de Mauricio Macri donne à la continuité du modèle minier, contrôlé par les grandes entreprises transnationales et grandement questionné au niveau social. Selon ce décret, les impôts augmentaient le risque de chômage dans le secteur minier affecté par la baisse du prix international des minéraux, et n’étaient pas «coparticipatifs», alors qu’il importe de s’orienter vers un pays «plus fédéral».

En 2015, le lobby entrepreneurial minier a fait campagne parallèlement aux élections présidentielles. À travers la Cámara Argentina de Empresarios Mineros («Chambre Argentine des Entrepreneurs Miniers» ou CAEM), il a présenté un agenda de dix points aux candidats présidentiels, exigeant des garanties «pour renforcer le secteur», parmi lesquelles figurent l’élimination des impôts (5%) et l’autorisation de continuer les projets de mines à ciel ouvert dans les provinces où existent de la résistance populaire et des lois restreignant leurs activités.

En effet, sept provinces ont promulgué entre 2003 et 2015 des lois interdisant les méga projets miniers à ciel ouvert (Chubut, Córdoba, Mendoza, San Luis, Tucumán et Tierra del Fuego), mais ces lois furent abrogées dans deux d’entre elles (La Rioja et Rio Nego) et d’autres situations conflictuelles sont survenues dans les provinces de La Rioja, Catamarca et San Juan. Pour la CAEM, toutefois, il importait peu qui gagnait l’élection puisque que les principaux candidats (Scioli, Macri et Massa) avaient déjà exprimé leur support public au secteur minier. Au cours de 2015, les assemblées citoyennes avaient initié une campagne sous le slogan de «Peu importe qui gagne, pas de mégamine ici».

Ainsi, 2015 fut marquée par de fortes oppositions qui ont recommencé à exiger la prise en considération des populations affectées par les méga projets miniers, ce dont aucun candidat présidentiel, et encore moins le président, ne semblait se soucier. Il y eut plusieurs foyers de tension. En septembre, l’entreprise minière Barrick Gold, dans le cadre du projet Veladero, a versé un millions de litres d’eau cyanurée dans les sources d’eau de la rivière Jáchal. Une étude de l’Université Nationale de Cuyo, commandée par les municipalités affectées, a par la suite détecté que la contamination du bassin en métaux lourds de la rivière était 14 fois plus élevée que les taux tolérables selon les normes nationales. Plusieurs mois plus tard, l’Assemblée «Jáchal No se Toca» (Préservons Jáchal) indiquait qu’un enfant avait été le premier contaminé par le déversement toxique de Veladero, de l’arsenic et du mercure ayant été détectés dans son sang.

Le désastre environnemental dans la province de San Juan a ainsi été enterré par l’idée d’une «exploitation minière durable». Les données obtenues démontrent aussi la fausseté de la «prospérité minière»: l’entreprise Barrick paie à la province seulement 1,7$US pour chaque 100$US de minéraux qu’elle extraie, soit une contribution de moins de 1% du budget de San Juan. De plus, l’exploitation minière des métaux emploie moins de 2500 personnes directement, soit moins de 1% de l’emploi total dans la province.

Deux répressions de manifestations sont survenues en septembre et octobre 2015. À La Rioja, la police provinciale a réprimé avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc les habitants de Famatina qui se dirigeaient vers la mine Midais, blessant huit personnes. À San Juan, dans la localité de Jáchal, près du projet minier Veladero, des citoyens qui protestaient contre le déversement de cyanure furent victimes de répression. Il y eut 23 détenus et divers blessés. De plus, à Chubut, on trouva des documents de renseignement sur les citoyens impliqués dans la résistance contre les mégamines. Le Ministère de la Fiscalité Publique provinciale a par la suite admis que ces documents avaient été assemblés par un organisme national. Malgré cela, il n’y eut pas de conséquences légales ou politiques pour cet acte grave ou pour les répressions subites à La Rioja et San Juan. Parallèlement, Barrick Gold fut seulement condamnée à suspendre les activités de son usine de lixiviation durant un mois.

En 2015 se sont aussi terminés deux grands tribunaux juridiques, après sept ans de litiges, avec la confirmation par les tribunaux suprêmes de justice de Cordoba et de Mendoza de la constitutionalité des lois de prohibition des méga projets miniers, constitutionalité qui avait été contestée et portée en justice par les entreprises minières.

La gravité de ces événements, arrivés au cours des six derniers mois de 2015 seulement, démontre le caractère emblématique et intrinsèquement conflictuel de l’industrie minière. Ce caractère s’exprime à travers trois facettes: par la dépossession économique (les entreprises sont gagnantes, mais la population n’en tire que de maigres bénéfices), par la dévastation environnementale (contaminations dans l’absence de contrôle, destruction du territoire) et par la régression de la démocratie (rejet ou manipulation des dispositifs institutionnels, censure des médias et soulignés par les mouvements de résistance citoyenne sont la défense de l’eau comme un bien commun universel (alors que les mégamines l’utilisent de façon démesurée) et l’absence de permis environnemental et social, qui provient de l’exigence de démocratiser les décisions prises.

Les liens entre lobby miniers et le pouvoir surpassent les divisions politico-idéologiques entre gouvernements conservateurs et progressistes. Ces liens s’enracinent dans une vision hégémonique du développement, basée sur l’idée de la croissance économique exponentielle, la marchandisation de la nature, une vision écoscientifique des risques (l’écologie comme une méthode de remédiation au lieu d’une science préventive) et la promesse de l’emploi. Bien qu’à vingt ans encore de l’implémentation des méga projets miniers, ce discours de «promesses» de l’extractivisme (Mirta Antonelli) soit toujours démenti par des faits, l’ouverture d’un débat national sur ce sujet a été éphémère et transitoire. Le réalignement rapide entre pouvoirs politique et économique a éjecté la question de l’ordre du jour politique et médiatique, installant à nouveau un mutisme sur ce sujet.

La stratégie du gouvernement antérieur visait la provincialisation des conflits, ce qui lui a donné des résultats positifs dans la mesure où il visait à contrôler les possibles effets de la nationalisation de la discussion. La seule exception fut la Loi Nationale sur les Glaciers (Ley Nacional de Glaciares), approuvée en 2010, mais qui n’est toujours pas appliquée, pas plus que l’inventaire des glaciers n’a été finalisé. D’un autre côté, le kirchnérisme n’a pas un récit «progressiste», les méga projets miniers ont toujours été un sujet incommodant, discuté à voix basse dans certains secteurs du progressisme ayant choisi d’ignorer ou de démoniser les luttes socio-environnementales nées dans les différentes provinces, ainsi que de nier les évidents relations d’affaires entre l’État, les grandes entreprises et les intérêts privés. Au niveau national, la stratégie a donc été d’éliminer toute possibilité de discussion et de rediriger la problématique vers les dynamiques particulières et opaques des provinces.

Le gouvernement Macri a travaillé sur de nombreux fronts, bien que sans tenir de discours sur l’industrie minière, n’entretenant pas de faux progressisme. Il a transféré le secrétariat de l’exploitation minière au nouveau Ministère de l’Énergie et des Mines, sous la direction de Juan José Aranguren, ancien CEO de Shell, a créé un Ministère de l’Environnement et y a nommé le rabbin Sergio Bergman, qui a confessé ne connaître rien sur le sujet, et a renforcé le statut de l’Organización Federal de Estados Mineros (OFEMI, Organisation Fédérale des États Miniers), créée par le pouvoir kirchnériste en 2012. En même temps, il a commencé à parler de «protection de l’environnement» et de «participation citoyenne». Dans son discours, toutefois, la protection de l’environnement reste une formule vide, plus destinée à des besoins de marketing et à quelques slogans efficaces qu’à une proposition de discussion inclusive sur les conséquences socio-environnementales, culturelles et politiques des modèles actuels de développement. De même, il possède une conception très simpliste du développement durable, qui se traduirait seulement par l’implantation de mesures limitées, économiques et environnementales. Il ne sait pas très bien non plus en quoi consiste la participation citoyenne, dans un pays où des veto sont mis sur les consultations publiques, où les lois protectrices sont annulées ou menées en justice et où les propositions de démocratie semi-directe sont manipulées ou ne sont pas mises en marche.

En somme, il n’y a pas de débat national sur les méga projets miniers en Argentine; tout se passe dans les «provinces lointaines», mais malgré les grandes asymétries, les résistances sociales ne sont pas seulement symboliques et s’illustrent par les interdictions d’activité minière dans sept provinces, chose inédite dans le contexte latino-américain. Au même moment, ces luttes – aujourd’hui présentes à Buenos Aires, par exemple par l’actuel campement de la Asamblea de Andalgala en face des Tribunaux – révèlent une dispute chaque fois plus grande dans les provinces où la promesse du développement, après 20 ans de méga projets miniers, n’a rien amené de plus que contamination, territoires occupés et détruits, un croissant «assistantialisme» (privé ou étatique) et une conscience de l’appauvrissement de l’exercice citoyen.

Maristella Svampa est sociologue, écrivaine et membre du groupe Plataforma 2012.

Photo: Le projet Veladero de Barrick Gold dans la province de San Juan, qui a déversé un million de litres d’eau avec du cyanure dans la rivière Jachal