Publié par Nathalie Quan, Prensa comunitaria, le 15 août 2024
Sept ans après la tragédie du Hogar Seguro Virgen de la Asunción, l’affaire reste entourée d’impunité. Avec la récente libération de Lucinda Marroquín dans le cadre de mesures alternatives, la justice pour les 41 filles décédées et les 15 survivantes semble de plus en plus éloignée, laissant les familles dans un vide douloureux et la société guatémaltèque avec un profond sentiment d’indignation.
Sept ans et cinq mois plus tard, ce mercredi 14 août, la deuxième chambre d’appel a ordonné la libération conditionnelle à titre de mesure de substitution de Lucinda Marroquín, ancienne sous-inspectrice de la Police nationale civile (PNC), qui depuis 2017 est en détention provisoire dans le cadre de l’affaire Hogar Seguro Virgen de la Asunción, pour le crime commis à l’encontre de 56 filles, le 8 mars 2017.
Marroquín était accusé d’homicide coupable, de blessures coupables et de mauvais traitements infligés à des mineurs.
Au cours de la procédure pénale, il a été révélé que Marroquín était en possession de la clé du cadenas qui maintenait les filles enfermées pendant les neuf minutes cruciales au cours desquelles le massacre s’est produit. Malgré les supplications de certains agents sous ses ordres, elle a refusé d’ouvrir la porte et aurait dit : « Laissez ces filles de pute brûler, voyons si elles sont aussi bonnes pour s’échapper que pour sortir ».
Selon le ministère public, cet acte était contraire à son devoir en tant que membre de l’appareil de sécurité de l’État, qui était de prévenir les dommages et de porter secours aux mineurs. Mme. Marroquín, qui était chargé d’assurer la protection et le bien-être des jeunes filles, a joué un rôle clé dans le dénouement tragique de l’affaire.
« Je ne suis pas un monstre, je suis une héroïne. »
Dans sa déclaration, Mme Marroquin a défendu ses actes, affirmant qu’elle n’était pas un monstre, mais une personne au grand cœur, une mère et une professionnelle. Elle a affirmé que les déclarations de ses collègues à son encontre étaient le résultat de pressions exercées par le ministère public (MP) au cours des interrogatoires, affirmant qu’elle avait elle-même été victime de ce harcèlement.
Mme Marroquín s’est décrite comme une « héroïne », affirmant que c’est grâce à elle que certaines des filles ont pu survivre. Selon son récit, elle a réussi à sortir au moins 30 filles du bâtiment en feu, se blessant au passage et risquant sa vie pour les sauver.
Le ministère public a documenté les conditions inhumaines auxquelles les adolescents ont été soumis depuis le 7 mars 2017, lorsqu’ils ont passé plus de huit heures à l’extérieur sans accès aux services de base. Les évaluations médicales des 15 survivants ont révélé d’importants dommages physiques et psychologiques.
En 2017, le Bureau du Procureur a estimé qu’il y avait eu abus de pouvoir en déléguant le contrôle du Hogar Seguro à la police, ce qui a abouti à la décision imprudente et négligente d’enfermer 56 adolescentes dans une salle de classe d’une capacité de 26 personnes, dans des conditions de surpeuplement qui ont abouti à une tragédie dévastatrice : 41 filles sont mortes et 15 ont été blessées.
La récente décision de la deuxième chambre d’appel, qui a assigné Lucinda Marroquín à résidence, n’est qu’un exemple de plus de l’affaiblissement du système judiciaire. La même chambre a également libéré l’ancien commissaire adjoint Luis Pérez Borja, un autre des principaux accusés dans cette affaire.
Les faits se sont déroulés sous le gouvernement de Jimmy Morales, ancien président du Guatemala entre 2016 et 2020. Dans le cadre de cette tragédie, 12 personnes ont été inculpées, qui sont actuellement en liberté conditionnelle dans le cadre de mesures alternatives :
- Carlos Rodas, ancien directeur du Secrétariat au bien-être social (SBS) de la présidence. Le bureau du procureur chargé du féminicide affirme que Rodas était responsable de la prise en charge intégrale des enfants, une obligation qu’il n’aurait pas remplie.
- Anahy Keller, ancienne sous-secrétaire au bien-être social de la présidence. L’une des plus hautes autorités du système de protection de l’enfance, Anahy Keller était chargée de garantir la vie et la dignité des filles dont elle avait la charge. Une amitié étroite avec Jimmy Morales est également mentionnée.
- Santos Torres, ancien directeur du Hogar Seguro. Il a été accusé de ne pas avoir rempli son devoir d’assurer la sécurité des enfants et des adolescents dont il avait la charge.
- Harold Flores, ancien procureur général pour les enfants et les adolescents du bureau du procureur général de la nation (PGN). Il est accusé d’avoir omis ses responsabilités et ses fonctions, ce qui aurait contribué à la maltraitance des mineurs et n’aurait pas garanti leur protection.
- Gloria Castro, ancienne médiatrice pour les enfants et les adolescents du bureau du médiateur pour les droits humains (PDH). Elle est accusée d’avoir manqué à sa fonction de protection des mineurs.
- Brenda Chamán, ancien responsable de la protection spéciale contre les abus. C’est elle qui a conseillé de placer les filles dans la salle de classe où s’est produit l’incendie.
- Lucinda Marroquín, qui gardait les filles au Hogar Seguro.
- Luis Armando Pérez Borja, ancien inspecteur de la PNC. Il était chargé des décisions à l’extérieur du Hogar Seguro, et est accusé d’avoir appelé la police anti-émeute qui aurait exercé des violences contre les adolescentes.
- Rocío Albany Murillo Martínez, juge de paix de San José Pinula. Bien qu’elle ait été informée des troubles le 7 mars, elle n’est arrivée au Hogar Seguro qu’après l’incendie, le 8 mars.
- Rolando Miranda, secrétaire du tribunal.
- Crucy Flor de María López, ex-monitrice, du centre de détention juvénile pour femmes de Gorriones. Elle a été accusée d’avoir utilisé du gaz poivré contre les adolescents, alors qu’elle n’avait aucune fonction au Hogar Seguro.
- Ofelia Pérez Campos, ancienne directrice de l’espace « Mi Hogar ». Elle a été accusée de ne pas avoir répondu aux besoins des jeunes filles et d’avoir délégué ses fonctions à la police le 7 mars, dans la zone où les adolescentes ont tenté de s’enfuir.
Sept ans plus tard, l’affaire reste impunie, toutes les personnes impliquées étant en liberté dans le cadre de mesures alternatives. Ces décisions portent un coup sérieux à la recherche de la justice et constituent un affront direct aux victimes, qui continuent de réclamer la vérité et l’obligation de rendre des comptes dans l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire récente du Guatemala. La libération de tous les accusés dans le cadre de mesures alternatives symbolise, pour beaucoup, un rappel malheureux de la façon dont la justice a disparu, laissant l’affaire dans un état d’impunité inquiétant.