HomeCommuniquéPérou : Liens entre les conflits socio-territoriaux et les récentes mobilisations

Pérou : Liens entre les conflits socio-territoriaux et les récentes mobilisations

Article publié par CooperAcción en février 2023

Plus de deux mois de mobilisations dans différentes parties du pays ont soulevé une série de questions sur l’avenir du Pérou et, en même temps, ont mis en lumière des problèmes en suspens qui ont traîné et ne sont toujours pas résolus. Une question soulevée ces dernières semaines est de savoir si les mobilisations actuelles et les revendications de la population sont liées à des situations antérieures et, surtout, à des conflits tels que ceux liés à l’exploitation minière.

Dans ce qui suit, nous allons établir quelques liens entre les mobilisations de ces jours-ci et les conflits miniers :

  • Un premier lien évident est que les mobilisations dans des régions comme Puno, Ayacucho et Apurímac ont soulevé une claire remise en question du pouvoir central ; des manières dont les élites du pays gouvernent et prennent des décisions et comment elles les imposent aux territoires. Il est clair que dans les conflits liés à l’exploitation minière. Il y a également eu une remise en question claire de ce pouvoir central ; la façon dont les décisions sont prises depuis Lima et ensuite imposées aux populations de l’intérieur du pays. Par exemple, la manière dont les concessions minières et les différentes licences sont accordées sans que les populations soient informées de manière adéquate, la manière dont les études d’impact environnemental sont approuvées, les rapports techniques sur les projets miniers, les contrats légaux, les autorisations de construction et les extensions de projets. Ces questions ont été à l’origine de plus d’un débordement dans les régions où l’on trouve des mines.
  • Un autre lien est la théorie du complot, souvent utilisée. Ces jours-ci, nous avons encore entendu des théories complotistes, bien sûr adaptées au contexte. On a essayé et on continue d’essayer d’expliquer les mobilisations sociales par l’action de diverses mains obscures supposées tirer les ficelles du conflit ; certains ont parlé d’activités illégales, comme l’exploitation minière et le trafic de drogue, d’autres des restes du Sentier Lumineux et, si tout cela ne suffit pas, l’intervention de l’ancien président bolivien, Evo Morales, a également été mentionnée. Séparément ou tous ensemble, c’est l’explication privilégiée et le récit qui a cherché à s’imposer.

Les théories du complot ont également été présentes dans les conflits miniers. Dans le cas de l’exploitation minière, il a été fait allusion plus d’une fois à l’existence de stratégies parfaitement orchestrées qui viseraient à stopper les investissements miniers en « utilisant », par exemple, les préoccupations environnementales ou d’autres demandes légitimes comme une sorte d’alibi. L’un des problèmes des théories du complot, pour les conflits miniers et pour tout ce qui s’est passé ces deux derniers mois dans le pays, est qu’ils simplifient toujours trop la vision du conflit et tente de l’homogénéiser : tous les conflits répondent aux mêmes causes et développent des stratégies similaires « contre les activités extractives ou contre les investissements ». Il est même affirmé « qu’il existe un modus operandi » qui se répète, et qu’aucune demande ou agenda légitime de la part des populations et de leurs organisations n’est reconnu.

En outre, les théories du complot, comme c’est le cas aujourd’hui, finissent par justifier les réponses autoritaires aux conflits ; état d’urgence, militarisation et criminalisation de la protestation, par opposition à la nécessité de renforcer les pratiques et les institutions démocratiques. De cette façon, non seulement les bases objectives qui sont à l’origine des conflits sont ignorées, mais un conflit social est transformé ou réduit à une sorte de problème d’ordre public. On tente ainsi de justifier la stratégie de la ligne dure, qui déclare l’état d’urgence, militarise les territoires et criminalise la protestation, précisément pour rétablir l’ordre public. Cela vous dit quelque chose?

  • L’explosion sociale a également attiré l’attention du pays sur le comportement des forces de police dans des scénarios extrêmement tendus, et montre la crise profonde de cette institution. Dans une certaine mesure, depuis que l’état d’urgence a été déclaré à la mi-janvier, Lima et plusieurs villes du pays ont vécu ce que les populations des zones minières vivent depuis des années ; des états d’urgence qui peuvent durer des mois (voire des années), une violence policière extrême, des perquisitions, l’introduction de preuves, des descentes au domicile et dans les locaux des organisations sociales, des arrestations arbitraires, des criminalisations, des poursuites judiciaires, etc.

En outre, depuis de nombreuses années, les populations des régions où l’exploitation minière est présente sont témoins de la signature de contrats entre la police nationale et les sociétés minières, ce qui a fait d’elle une sorte de police privée. La perception est que la police est aliénée.

  • Le facteur identitaire est fortement présent dans les mobilisations sociales actuelles et a également été présent dans les conflits dans les zones minières. Le niveau de mobilisation auquel nous assistons aujourd’hui ne peut s’expliquer sans prendre en compte la question de l’identité : les régions qui se sont le plus mobilisées sont Ayacucho, Apurímac, Puno, Huancavelica et Cusco, précisément celles qui ont la plus forte concentration de population autochtone.

José Carlos Agüero, un historien péruvien, pose une question fondamentale : « Qu’est-ce que les élites du pays attendaient de cette population dénigrée et stigmatisée? Qu’est-ce qu’elles attendent d’elle? Amnistie Internationale a réalisé une analyse qui prend comme paramètres la concentration des manifestations et le nombre de morts dues à la répression, sur la base des données du Bureau du médiateur péruvien. Le rapport souligne que le nombre de morts arbitraires possibles dues à la répression de l’État se concentre de manière disproportionnée dans les régions où la population est majoritairement autochtone. Alors que les départements à majorité autochtone ne représentent que 13% de la population totale du Pérou, ils comptent pour 80% des décès enregistrés depuis le début de la crise actuelle. Par coïncidence, c’est dans ces territoires que se sont concentrés le plus grand nombre de conflits sociaux au cours des dernières décennies, principalement liés aux activités extractives telles que l’exploitation minière.

Ce sont là quelques-uns des principaux liens que l’on peut établir entre les conflits sociaux liés à l’exploitation minière et les récentes mobilisations. Cela fait partie de l’agenda en suspens que nous traînons encore dans le pays et qui, de temps à autre, nous envoie des signaux par le biais d’explosions de plus en plus importantes.

La première chose à reconnaître est que la tâche qui nous attend est énorme et la manière dont cette crise sera résolue déterminera si le Pérou ouvre un processus qui nous permettra de commencer à combler ces énormes lacunes, dans une perspective d’inclusion et de reconnaissance des droits ou, au contraire, si nous entrons dans une spirale d’autoritarisme et d’exclusion accrue.