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Pensée critique. Écommunitarisme et Choquehuanca au sommet de la Terre-Mère : des convergences fondamentales et une question

Article publié dans Resumen Latinoamericano (Sirio López Velasco) le 22 septembre 2023.

En octobre 2022, le vice-président de la Bolivie a prononcé un discours de douze minutes lors du Sommet de la Terre-Mère au Mexique, qui devrait être entendu, discuté, complété et mis en pratique dans tous les espaces des mouvements « écommunautaires » (ou post-capitalistes en général), des communautés autochtones, des coopératives, des syndicats urbains et paysans, des syndicats étudiants, des associations de quartier et autres organisations associatives en général, ainsi que dans toutes les institutions éducatives de l’Amérique (de l’enseignement primaire à l’enseignement universitaire). 

Dans ces brèves lignes, nous nous contenterons d’indiquer de manière télégraphique certaines convergences fondamentales entre la proposition « écommunautaire » et le contenu de ce discours. En second lieu, nous nous interrogerons sur la mise en oeuvre de ce discours.

A – Affirmation de la vie. À partir de la troisième norme fondamentale de l’éthique, que nous avons déduite argumentativement de la grammaire profonde de la question qui l’établit, la proposition « écommunautaire » inclut l’obligation de veiller à la préservation et à la régénération de la santé de la nature humaine et non humaine. Cette obligation inclut la préservation-régénération de la vie, et s’étend au-delà, au maintien des équilibres systémiques de et avec les entités non vivantes (telles que les fleuves et les montagnes, etc.).

B – Critique de la colonisation et du capitalisme pour la dévastation des espèces animales et végétales, et la menace à la survie de l’humanité, comme résultat de la logique du profit et du consumérisme (le mode de vie « sans limites » auquel Choquehuanca fait allusion) qui ont animé et continuent d’animer le colonialisme et le néo-colonialisme, et le capitalisme (néo-libéral dans sa dernière version).

C-  – Un appel aux filles et aux fils de la Terre-Mère pour qu’ils retrouvent le chemin de l’ordre et de l’équilibre. En nous proclamant enfants de la Terre, nous, les humains, renonçons à tout désir de la posséder et de la dominer, et assumons l’obligation d’adapter avec parcimonie les limites de notre mode de vie au maintien des équilibres écologiques. À cet égard, basé sur l’application quotidienne des trois règles fondamentales de l’éthique, le principe qui guide la manière « écommunautaire » de sentir-penser-vivre-produire-distribuer-consommer est le suivant : « De chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins, dans le respect des équilibres écologiques et de l’interculturalité ». Cependant, il faut souligner que lorsque Choquehuanca utilise le verbe « retourner », il présuppose que dans la culture d’origine (dans son cas andine) l’ordre et l’équilibre étaient pleinement réalisés, alors qu’en réalité nous savons que, par exemple, le machisme a également prévalu (et prévaut encore) dans cette culture, et que « l’ordre et l’équilibre » entre les sexes est une conquête qui doit encore être réalisée dans le futur communautaire, et non un héritage du passé (même s’il est autochtone-originaire).

D – Revenir à la « jiuasa » et à la « yambaie ». L’« écommunautaire », fondé sur les première et deuxième normes éthiques fondamentales, exige que nous nous efforçons de réaliser notre liberté de décision individuelle, mais que nous le fassions dans le contexte de la recherche de réponses consensuelles avec d’autres aux défis de notre (nos) vie(s) et de la vie et de l’équilibre sur (de) la planète (comme l’exige la troisième norme éthique fondamentale). Nous sommes ainsi des « personnes sans propriétaire » (yambaie), affirmant à la fois le « je » et le « nous » (jiuasa), ce qui permet à chaque être humain de se réaliser en tant qu’individu universel.

E – Dans la recherche de l’« écommunarisme », la logique ne suffit pas, il faut impliquer le cœur. Bien que les fondements de l’éthique que nous avons rétablis soient médiatisés par la logique du langage et du discours argumentatif, nous faisons nôtres les paroles du Che qui disait qu’un révolutionnaire est mû par de grands sentiments d’amour. Ainsi, le combattant « écommunautaire » se nourrit à la fois du raisonnement et d’un grand amour pour les êtres humains, pour tous les êtres vivants et pour la Terre-Mère.

F – Lorsque Choquehuanca appelle les êtres vivants humains et non humains à former une alliance pour défendre la Terre-Mère, il place cet appel dans le contexte de l’expérience andine dans laquelle le « feu du grand-père », les plantes et les animaux, et même les montagnes et les rivières (mentionnées ci-dessous) font partie d’une grande Communauté (qui, comme le dit Choquehuanca, trouve sa synthèse dans l' »ayllu » en tant que système de vie également composé d’ancêtres. Nous ajoutons que, dans la croyance andine, certains de ces ancêtres peuvent être aujourd’hui des montagnes qui, en leur temps, ont bougé, aimé et copulé). De l’« écommunautarisme », même sans adhérer à cette croyance en tant que telle, nous déduisons de la troisième norme éthique fondamentale l’obligation que nous, les humains, avons d’être responsables de la préservation-régénération de la santé de tous les êtres vivants et non vivants au cœur de la Terre-Mère (comme nous l’avons déjà expliqué dans d’autres écrits, pour les êtres non vivants, la « santé » équivaut au maintien-rétablissement de leurs caractéristiques physico-chimiques moyennes). C’est pourquoi dans l’« écommunautarisme », et surtout dans l’économie « écommunautaire » (écologique et sans patron) la satisfaction des besoins humains légitimes devra toujours respecter avec frugalité la (re)production de tous ces autres co-enfants qui, en tant que frères et soeurs, nous accompagnent sur cette Terre-Mère.

G – Dans sa perspective interculturelle, l’« écommunautarisme » partage la dénonciation du génocide et de l’ethnocide physique et culturel dont les peuples autochtones ont été victimes de la part des colonisateurs et des capitalistes. Et avec Choquehuanca, nous nous réjouissons que les assassins n’aient pas réussi à effacer la mémoire et la vie de ces peuples, qui aujourd’hui, après cinq siècles de Résistance à Abya Yala, nous donnent l’exemple de leur mode de vie frugal, communautaire et écologique. L’« écommunautarisme » proclame que nous devons apprendre et nous nourrir de lui, tout en le complétant, dans un dialogue mutuellement enrichissant, avec ce que d’autres héritages de vie et utopies ont à apporter à l’« écommunautarisme » en Abya Yala, comme le « blanc », le noir, l’asiatique et le polynésien. Cette conjonction se réalise dans la « complémentarité » à laquelle Choquehuanca fait allusion, en évitant toute forme de racisme (non seulement le racisme eurocentrique bien connu, mais aussi le racisme dans lequel la contribution de toute autre culture à la lutte « écommunautaire » est sous-estimée au nom de la défense de la culture d’origine).

H – L’« écommunautarisme » adopte la critique de Choquehuanca sur la marchandisation de la nature, qui est de plus en plus ouvertement promue par le capitalisme. Il propose donc l’abolition future de l’esclavage salarié, avec l’abolition des salaires et de l’argent lui-même, car la réalisation du principe de base de l’« écommunautarisme », présuppose la satisfaction directe des besoins en biens et services de chaque personne, sans aucune médiation monétaire, en respectant la préservation-régénération de la santé de la nature humaine et non-humaine, comme l’exige la troisième norme éthique de base.

I – L’observation de Choquehuanca selon laquelle la reconnaissance des droits humains et des droits des peuples autochtones est arrivée tardivement dans l’humanité, alors que des cultures entières avaient déjà été massacrées, est opportune et nécessaire. Non moins opportune et nécessaire est sa demande qu’il n’en soit pas de même pour la reconnaissance des droits fonciers que, pour notre part et en dehors du domaine du Droit, nous revendiquons sur la base du contenu de la troisième norme éthique fondamentale (il convient de rappeler que dans l’« écommunautarisme », non seulement l’argent, mais aussi l’État devront être abolis, la Morale remplacée par l’Éthique constituée par des Presque-Raisonnements causaux, et le Droit positif, lui aussi remplacé par ces Presque-Raisonnements causaux).

J – L’« écommunautarismeire » assume (surtout à travers deux de ses dimensions qui sont l’éducation environnementale écommunautaire socialement généralisée et la politique de tous) le rêve de Choquehuanca de voir s’épanouir des êtres humains qui, dans leur condition de simples citoyens et aussi quand vient leur tour d’exercer une responsabilité d’administration-gouvernement, font du respect des trois normes éthiques fondamentales l’axe de toute leur vie. En ce qui concerne les fonctions gouvernementales, nous rappelons que l’« écommunautarisme » propose que la vie communautaire soit régulée autant que possible sur la base d’exercices démocratiques directs (basés sur des assemblées, des plébiscites et des référendums, aujourd’hui grandement facilités par les outils Internet, en particulier pour les décisions de portée générale et stratégique), et que les espaces de démocratie représentative qui doivent être maintenus soient occupés, sur une base rotative et avec un maximum de deux mandats, par des représentants élus qui peuvent être révoqués par les électeurs à tout moment.

K – La lutte « écommunautaire » est aussi pour la beauté et la paix, défendue par Choquehuanca. L’esthétique de la libération est l’une des dimensions de l’« écommunautarisme », où chaque personne est éduquée à apprécier la beauté de l’humain et du non-humain, à produire de l’art et à jouir de l’art. Et ce n’est que dans l’« écommunautarisme », en surmontant les antagonismes de classe, ethniques et autres qui existent dans le capitalisme, que l’humanité tout entière peut se réconcilier dans la paix comme une grande famille qui coopère dans la solidarité et résolve pacifiquement tous les différends. Sur le chemin de la paix, les forces armées et policières actuelles au service du capital doivent être remplacées par des milices populaires pluriculturelles à intégration volontaire et tournante. Tôt ou tard, ces milices devront également être presque entièrement dissoutes, car l’humanité se passera d’armes (à l’exception de celles qui peuvent être utilisées pour protéger la planète d’une frappe de météorite ou d’une agression extraterrestre ; le maniement de ces armes devra être appris par le petit noyau restant des milices, qui se renouvelle de génération en génération).

Ceci étant dit, nous nous demandons comment le gouvernement dont fait partie Choquehuanca met ou non en pratique toutes les idées défendues dans le discours que nous commentons. Nous nous référons aux domaines de l’économie, de la politique plurinationale et internationale, de l’éducation interculturelle plurilingue, de la santé, du logement, des transports, de la défense et de la sécurité intérieure, etc. Les voix des mouvements sociaux boliviens qui ont promu le Processus de changement, ainsi que celles du MAS, ne manquent pas pour accuser le gouvernement dont Choquehuanca est membre de pratiquer des actions capitalistes (néolibérales) et même de droite. En même temps, nous constatons que, malheureusement, il y a aujourd’hui dans ces espaces une vive dispute teintée d’insultes entre ceux qui promeuvent la réélection d’Arce et ceux qui soutiennent la candidature d’Evo à la prochaine élection présidentielle. En mettant en avant cette guerre d’égos, il est évident que l’on est loin de la priorité donnée au « nous » et non au « je », comme le postule Choquehuanca, et que la deuxième règle éthique fondamentale est ainsi violée. Et ce, alors que l’oligarchie raciste bolivienne et l’empire Yankee-OTAN (et leurs complices) ne relâchent pas leurs efforts (temporairement couronnés de succès par le coup d’État de fin 2019) pour mettre fin à la tentative de construction d’un État plurinational et communautaire, orienté vers la recherche du Bien-vivre.