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Nos corps, nos territoires

Vivre de la terre et avec la terre est ce que veulent les femmes qui défendent la terre et les territoires.

« Pourquoi nous envoient-ils tant de policiers pour sept femmes? Nous n’avons pas d’armes, pourquoi viennent-ils ainsi s’attaquer à notre eau, à notre accès à celle-ci? ? » demande Fortunata María Huaquira, de la communauté d’Alto Huarca dans la province d’Espinar, à un journaliste de Pulso Regional de Cusco.

Elle ne parvient pas à comprendre l’acharnement des 40 policiers qui, avec le personnel de l’entreprise Glencore qui opère le projet minier Antapaccay, les ont attaqué alors qu’elles défendaient leurs terres, le 3 avril dernier. Ils ont frappé sans retenue les femmes qui cherchaient à empêcher l’entreprise de creuser la terre pour dévier le cours de la rivière Kutumayo où elles s’approvisionnent en eau. Ceci bloquerait l’accès au chemin qui les mènent à leurs maisons.

« Pourquoi tant d’abus, tant de harcèlement, pourquoi tant de mauvais traitements minière Yanacocha ? Je ne vous fais rien, je suis un être humain et ma famille vit de la terre ou cela est considéré comme un crime ? Que disent les autorités? » se questionne Daniel Chaupe Acuña, fils de Máxima Acuña, face à une nouvelle attaque de la police nationale et du personnel de la compagnie Yanacocha. Dans le désir de blesser et de causer plus de souffrances à la famille, ils ont tué son chien, comme on peut le voir dans les photos que Daniel a publiées sur Facebook, nous rappelant les chiens tués et pendus à l’époque par les senderistas afin de menacer ceux qui n’étaient pas d’accord avec leurs idées.

Vivre de la terre et avec la terre est ce que veulent les femmes qui défendent la terre et les territoires. Elles revendiquent leur droit d’habiter dans le lieu où elles cultivent leur/notre nourriture, où elles poussent leurs plantes, où elles enterrent leurs morts et où vivent leurs dieux et leurs déesses. La présence de grands projets extractifs, plusieurs fois sans consultation et qui affectent leur mode de vie de manière irrémédiable, fait que les femmes se lèvent en défense de leurs territoires, de leurs terres et de leurs bien communs. Ces femmes se manifestent dans l’espace public où elles sont souvent battues, violées sexuellement et menacées par les forces de sécurité engagées par les propriétaires des projets extractifs ou par les forces de l’ordre qui protègent les investissements des entreprises sur leurs territoires. Elles subissent diverses formes de violence et aussi de criminalisation, qui comprennent non seulement des poursuites, mais aussi leur stigmatisation, pour lesquelles les médias, souvent financés par les entreprises elles-mêmes, sont de grands alliés.

Les différents dispositifs du bio-pouvoir entrent en jeu face à la résistance des femmes pour tenter de faire taire les voix dissidentes qui se dressent contre le modèle extractif. Ils essaient, avec assez de succès dans de nombreux cas, de mettre une partie de la population contre les défenseur-e-s, les qualifiant d’anti-développement, de violent-e-s, problématiques, etc. En ce sens, Rocío Silva Santisteban, dans une publication récente, souligne que:

Le biopouvoir doit agir efficacement en produisant, au sein de la population, une hostilité « naturelle » envers ceux qui remettent en question le développement extractif. Comment? À travers le renforcement de ce sens commun, produisant un discours avec des caractéristiques diverses qui crée également une série de mythes et d’idées. Ces mythes articulent en parfaite harmonie les besoins du corporatisme extractiviste qui parfois ne nécessite pas d’utiliser la force directe de la police nationale ou de ses forces de sécurité pour contrôler la population rebelle, puisque ce sont leurs alliés qui feront ce travail.

L’irruption des femmes dans les communautés qui défendent leurs territoires est souvent une réponse inattendue de la part des agents des entreprises, puisqu’elles ont toujours été en dehors des décisions et des négociations qui étaient faites entre les hommes, comme le montre Max Acuña dans le texte. de Silva Santisteban déjà cité:

« Disons que les travailleurs de votre entreprise doivent pénétrer sur une terre, ils attrapent rapidement, ils trouvent un homme, ils lui serrent la main, disent ‘bonjour comment allez-vous ami, pouvez-vous nous permettre d’entrer, nous allons là-bas boire une boisson gazeuse et manger du poulet … » C’est le travail que l’entreprise fait, surtout avec les hommes.

La grande résistance des femmes à de nombreux projets dans différents territoires d’Amérique latine a fait d’elles une cible   la répression, la violence, la criminalisation et même le meurtre, en tant que mécanismes pour envoyer un message clair aux autres femmes qui suivent le même chemin. C’est la manière de vouloir les garder «à leur place». Mais malgré les efforts pour faire taire et rendre invisibles les femmes défenseurs, ce sont les femmes de Abya Yala qui réclament la reconnaissance d’autres façons de vivre et d’exister. C’est ce que Mar Daza, du Réseau latino-américain des femmes défenseurs des droits sociaux et environnementaux, a indiqué dans la conversation « Pour la défense de nos corps et de nos territoires », en mentionnant la campagne qu’elles mènent nommée Rexistir.

Pour sa part, la campagne « Défenseures vous n’êtes pas seules » , menée par des organisations telles que DEMUS, Flora Tristán et la Coordination nationale des droits humains, tente de rendre visible comment le contrôle des corps et des territoires s’exprime dans les espaces dans lesquels les projets extractifs sont développés et comment la dispute pour les différentes utilisations du territoire et la prévalence de l’extractivisme et des conflits écoterritoriaux ont un impact distinct sur les hommes et les femmes. Ces campagnes sont menées dans un contexte de violations croissantes des droits et d’augmentation de la violence dans toute notre Amérique latine, comme l’a elle-même souligné la Commission interaméricaine des droits humains(CIDH):

La CIDH exprime sa consternation face à l’augmentation dévastatrice de la violence contre les personnes qui s’opposent aux projets d’extraction, de développement ou celles qui défendent le droit à la terre et aux ressources naturelles des peuples autochtones de la région. Selon les informations fournies par la société civile, elles représentents désormais 41% de tous les homicides contre des défenseur-e-s dans la région.

Le degré d’impunité qui persiste est également très préoccupant, car les dénonciations des crimes contre les défenseurs, la violence contre les femmes, l’usurpation de leurs territoires, la dépossession des personnes et des communautés sont laissées dans un papier qui jaunira à force de rester dans les archives, tandis que d’importants investissements continuent d’être approuvés au nom du développement.

Il est donc essentiel que les différents mouvements continuent à protéger les femmes qui défendent la terre et les territoires, que des politiques publiques globales soient élaborées à cet effet dans tous nos pays, que les voix des sœurs et des frères dans les villes s’élèvent afin de dénoncer ce qui se passe dans les territoires ruraux. Il faut montrer ce que les femmes pensent et rêvent dans tous les espaces possibles. Il faut reconnaître et prendre en considération le fait que les peuples veulent avoir le droit de vivre de formes diverses, que les femmes sont en train de lutter pour soutenir la/leur vie et celles des futures générations qui dépendent de ce qu’elles produisent, de ce que les mains ont protégé et de la sagesse de tant de femmes et hommes de la campagne. Il est temps de dire aux femmes qui défendent et soutiennent la vie qu’elles ne sont pas seules, que nous marchons avec elles dans leur lutte pour défendre les biens communs dans notre Grande Patrie.

[1]Derechos Humanos Sin Fronteras Cusco, Video en directo publicado en Facebook el 9 de abril del 2018. https://web.facebook.com/derechossinfronteras.pe/videos/1592140894237766/

[2]Comentario publicado en su Facebook el 9 de abril del 2018.

[3]Rocío Silva Santisteban, Mujeres y conflictos ecoterritoriales: Impactos, estrategias, resistencias. AIETI, CMP Flora Tristán, DEMUS, Coordinadora Nacional de Derechos Humanos, Lima, 2017, p.19.

[4]Ibid., p. 33.

[5]Organizado por Articulación Feminista Marcosur – AFM y el Centro de la Mujer Peruana Flora Tristánen el marco de la Cumbre de los Pueblos que se desarrolla en Lima.

[6]http://www.rexistir.com/

[7]https://web.facebook.com/defensorasperu/?hc_ref=ARQ4lbUhjZbj6Gp1dU9QMkYgNqFt6Rxly0-RC1hkYQP_TYV800gGN-OcH-UzkwqsOIA

[8]“CIDH condena asesinatos a defensoras y defensores de derechos humanos en la región”, Comunicado de Prensa, OEA,

7 de febrero del 2017. http://www.oas.org/es/cidh/prensa/comunicados/2017/011.asp

http://noticiasser.pe/11/04/2018/teleidoscopio/nuestros-cuerpos-nuestros-territorios

 

Par: Rosa Montalvo Reinoso

Source: Kaosenlared