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Mine Cuzcatlán : le droit de polluer

L’entreprise canadienne Compañía Minera Cuzcatlán est le sixième producteur d’argent au Mexique. En 2018, un déversement de déchets de l’une de ses mines a contaminé un cours d’eau de la région de Oaxaca.
L’événement a déclenché une intense controverse dans les médias. On y débattait de la véracité de la contamination du sol et de l’eau des communautés.

Notre enquête journalistique révèle que les rapports originaux font état de la présence de matériaux toxiques à des niveaux dépassant jusqu’à 1845 % les normes mexicaines.

L’enquête démontre également comment les autorités et l’entreprise ont écarté ces documents pour permettre à l’entreprise Minera Cuzcatlán de se décharger de toute responsabilité quant aux conséquences de la contamination dans cette région du sud du Mexique.

Aquino Pedro Máximo se souvient très bien de l’aube du 8 octobre 2018, lorsqu’une pluie torrentielle s’est déclenchée. Aquino est un agriculteur zapotèque de la communauté de Magdalena Ocotlán, à Oaxaca, dans le sud du Mexique. Cette nuit-là, sur les toitures en tôle des maisons, on pouvait entendre un bruit assourdissant. Tôt le matin, comme il en a l’habitude, Aquino a pris sa machette et s’est préparé pour commencer le travail dans ses cultures, en compagnie d’autres agriculteurs et agricultrices. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir la couleur grisâtre de la rivière El Coyote! « On aurait dit du ciment », se souvient Aquino.

Cette boue grise recouvrait plus de quatre kilomètres de la rivière. L’eau, qui sert à la communauté pour l’agriculture et l’élevage, était complètement grisâtre, tout comme la végétation et le sol aux alentours. La masse boueuse s’était répandue dans « La Ciénega ». Cette zone située dans la municipalité de Magdalena Ocotlán comporte un petit bassin d’eau utilisé pour le pâturage des animaux et un puits d’eau potable. Les communautés zapotèques de San Pedro Apóstol, San Felipe Apóstol, San Matías Chilazoa et Tejas de Morelos ont également été touchées.
L’entreprise minière Minera Cuzcatlán, filiale de la société canadienne Fortuna Silver Mines, est la sixième productrice d’argent du Mexique, en plus d’être productrice d’or dans une moindre mesure. Les données de 2020 indiquent qu’elle a foré plus de 300 kilomètres de tunnels dans le sous-sol des cinq concessions qu’elle exploite. Elle détient 26 autres concessions qui forment un corridor minier d’or et d’argent couvrant une superficie de 64 000 hectares.

Les boues qui ont contaminé la rivière El Coyote étaient formées d’un mélange d’eau de pluie et de déchets miniers, qu’on appelle aussi résidus ou rebuts. Ces déchets forment normalement une montagne grise que l’on peut observer de loin à l’intérieur des installations de l’entreprise minière. On les appelle des résidus secs et ils forment une poudre fine semblable à du ciment. Les déchets miniers sont également concentrés à l’état liquide dans un grand barrage. L’entreprise minière Minera Cuzcatlán prétend que ces résidus ne représentent aucun danger pour la santé et l’environnement, bien qu’ils soient le résultat d’un processus impliquant toute une gamme de produits chimiques toxiques.

D’après l’entreprise Minera Cuzcatlán, ce fameux jour du 8 octobre, l’orage a fait en sort que la capacité de rétention du bassin n’a pas été suffisante. Ce bassin, destiné à capter une partie des eaux de pluie et de ruissellement du dépôt de résidus secs, fait pourtant presque la taille de trois piscines olympiques. Dans le bassin, ces substances sont ensuite pompées vers le plus grand barrage de résidus liquides. « Les deux équipements de pompage du bassin n’étaient pas suffisants pour pomper cette eau vers le barrage de résidus, ce qui a provoqué le débordement », a justifié l’entreprise, selon le dossier de l’affaire consulté par notre équipe.

Le déversement a déclenché une vive controverse : les résidus avaient-ils contaminé ou non le sol et l’eau des communautés? D’un côté, l’entreprise a fait valoir publiquement dès le début que ses résidus n’étaient pas polluants et que, par conséquent, il n’y avait pas eu de contamination. De l’autre, les communautés avoisinantes ont dénoncé le fait que leur territoire avait été gravement affecté.

Les premiers rapports officiels stipulent que Minera Cuzcatlán « a déversé des polluants [dans la rivière El Coyote], entraînant des dommages environnementaux ».

Les premières analyses effectuées par un laboratoire britannique de renommée internationale ont également mis en évidence une contamination des sols touchés par le déversement. Néanmoins, la Commission nationale de l’eau du Mexique (Conagua), le bureau du procureur général fédéral pour la protection de l’environnement (Profepa) et l’entreprise ont mis de côté ces premiers rapports. Ces instances ont tenté d’occulter les faits et prétendu que l’entreprise n’était pas responsable des conséquences de la contamination.

L’eau était pourtant contaminée

Luz María Méndez Rodríguez est une mère de famille qui habite à Magdalena Ocotlán, la communauté la plus touchée par le déversement. Elle raconte les jours qui ont suivi la catastrophe : « Certains de nos animaux ont commencé à mourir. Les enfants et les personnes âgées se sont mis à souffrir de maux d’estomac, de diarrhée, d’allergies cutanées. On nous a dit qu’il y avait une épidémie d’hépatite. Nous n’avions jamais connu une telle situation auparavant », explique María, qui est également conseillère municipale responsable des impôts de la communauté.

C’est précisément parce que la boue grise s’est approchée du puits d’eau potable de la communauté que les habitant-e-s ont cessé d’utiliser l’eau du puits de leur propre initiative, comme l’explique la conseillère municipale en écologie de Magdalena Ocotlán, Oliva Odelia Aquino Sánchez. Mais elle précise que cela n’a pas pu durer longtemps. « Tout le monde s’est inquiété et nous avons commencé à acheter de l’eau [embouteillée]; beaucoup n’ont tenu que quelques semaines, puis ont dû recommencer à boire l’eau contaminée, parce que c’est difficile, les gens ont à peine assez d’argent pour manger. »

Les personnes agricultrices dépendent de leur récolte pour survivre et ne reçoivent généralement pas de salaire fixe. Voilà pourquoi l’achat de plus d’une cruche d’eau de 20 litres par semaine est au-dessus de leurs moyens, même s’il n’en coûte qu’environ un dollar (20 pesos mexicains). De ce fait, 73 % de la population de Magdalena Ocotlán vit dans la pauvreté, selon les données de 2015 du Conseil national d’évaluation de la politique de développement social (Coneval). Presque un quart de la population vit dans une situation d’extrême pauvreté, d’après les informations publiées par le ministère du Bien-être en 2021.

L’avocat chargé de conseiller les communautés, José Pablo Antonio, explique que le droit international recommande aux autorités de décréter des mesures préventives jusqu’à la résolution de la situation, ainsi que de fournir l’information pertinente aux communautés. « Les autorités auraient dû suspendre l’utilisation de l’eau et garantir l’approvisionnement à partir d’autres sources jusqu’à ce que la situation soit complètement résolue. Mais cela n’a pas été le cas », dit-il.

Deux jours après le déversement, alors que les communautés vivaient dans l’incertitude, les autorités environnementales ont procédé à une inspection des zones touchées. La Conagua était responsable d’analyser l’eau et le Profepa, le sol. Un dossier a été ouvert dans chaque cas.

La délégation de la Conagua était composée de fonctionnaires et de personnel du Laboratoire régional du Pacifique Sud de la direction technique de l’Organisation du bassin du Pacifique Sud. Selon leur rapport, le déversement provenait du « bassin de collecte des eaux de pluie souillées par les résidus secs déposés et stockés dans un champ qui se trouve à un niveau plus élevé que le bassin. Ce ruissellement vers le bassin se fait par le biais d’un canal. »

Alors que les personnes techniciennes de la Conagua réalisaient leurs tests, il a plu à nouveau. Elles ont ainsi été témoins d’un nouveau déversement. Selon les fonctionnaires, avec la pluie, le canal qui achemine les eaux de ruissellement vers le bassin n’a pas pu gérer la quantité d’eau de pluie mélangée aux eaux souillées, et la bordure du canal s’est rompue. « On observe que cette eau souillée par les glissements de terrain et les sédiments provenant des résidus secs est de couleur grisâtre et s’écoule vers un chemin qui mène à la rivière Coyote, où elle se mélange au flux des eaux nationales », détaille leur rapport.

Finalement, lors d’un court répit donné par l’orage, le personnel du laboratoire de la Conagua a pu prélever des échantillons « à l’endroit même où se trouve le canal qui collecte des eaux de ruissellement provenant des glissements de terrain et chargées de sédiments des résidus secs ». Lors de cette visite d’inspection, le personnel a aussi prélevé des échantillons dans la rivière El Coyote.

Les résultats de ces échantillons ont été analysés par deux laboratoires : le Laboratoire régional du Pacifique Sud (responsable de la collecte) et le Laboratoire national de référence de la gestion de la qualité de l’eau de la sous-direction technique générale, tous deux rattachés à la Conagua. Des métaux lourds ont été identifiés au-dessus du seuil autorisé en contexte d’élevage et d’irrigation agricole, tels que déterminés par le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles (Semarnat) et par les Critères écologiques pour la qualité de l’eau (CECA) de 1989. Dans la rivière El Coyote, le fer dépassait jusqu’à 1845,8 % les limites admissibles; l’aluminium, jusqu’à 955,12 %; l’argent, de 591,2 %; le nickel, de 173,915 %; et le plomb, de 167 %.

« L’eau de pluie qui entraîne dans son passage les glissements de terrain et les sédiments des résidus secs n’est pas conforme aux limites maximales admissibles établies par la norme officielle mexicaine NOM-001-Semarnat-1996 et a également dépassé les niveaux maximaux établis dans les CECA publiés dans le Journal officiel de la Fédération le 13 décembre 1989, qui s’appliquent aux sources d’eau pour l’irrigation agricole et pour l’utilisation du bétail, quant aux paramètres de pH, au total des solides en suspension et aux besoins chimiques d’oxygène. La présence de métaux lourds dépasse les limites maximales admissibles d’aluminium, de fer et de plomb, ce qui entraîne la contamination de la rivière El Coyote », déclare le rapport n° BOO.810, BOO.810 .02.2455/2018 de la Conagua.

La Conagua a également fait état de « dommages environnementaux » et a mis en garde que l’eau ne devait pas être utilisée pour l’agriculture et l’élevage. « Étant donné la présence de contaminants dans la rivière, ce cours d’eau, qui se joint aux eaux nationales, ne peut pas être utilisé à ces fins », peut-on lire dans le document.

Les conclusions initiales de l’autorité environnementale faisaient donc état d’une contamination. Le diagnostic changea pourtant par la suite, sous prétexte de nouvelles analyses réalisées par des consultants et des laboratoires travaillant pour l’entreprise minière Minera Cuzcatlán.

Le 27 novembre 2018, la Conagua a informé Minera Cuzcatlán qu’elle avait ouvert un dossier administratif au sujet du déversement, à partir des premiers échantillons prélevés par les laboratoires de la Conagua. Dans ce document, l’autorité environnementale a conclu que le déversement avait contaminé la rivière El Coyote. Par conséquent, elle demandait à l’entreprise de mettre en œuvre trois mesures urgentes. Deux d’entre elles, visant l’amélioration des installations, ont été respectées.

En ce qui concerne ces deux mesures, Cristina Rodríguez, directrice adjointe au développement durable pour l’entreprise Minera Cuzcatlán, a déclaré lors d’un entretien avec notre équipe journalistique que « l’espace du bassin de collecte des eaux de notre dépôt de résidus secs a été doublé, passant de 7 000 m3 à 14 000 m3 et quintuplant sa capacité de pompage pour prévenir les débordements pendant la saison des pluies. Nous avons également construit un bassin de collecte d’urgence d’une capacité totale de 23 000 m3. »

La troisième mesure demandait à l’entreprise de présenter un programme de réhabilitation, dans lequel Minera Cuzcatlán évaluerait les risques de ses résidus pour l’environnement et pour la santé des communautés affectées, afin de déterminer les mesures de décontamination. En d’autres termes, la Conagua a ouvert la porte pour que Minera Cuzcatlán évalue elle-même la zone touchée, ce qui a permis à l’entreprise minière d’effectuer de nouvelles analyses de l’eau pour évaluer la contamination.

L’entreprise a présenté le document Plan d’action visant à assainir la rivière Coyote. La première action de ce programme prévoyait un nouveau prélèvement d’échantillons d’eau, afin de « déterminer l’impact […] et, si nécessaire, formuler le programme d’assainissement correspondant ». Ce plan d’action a été accepté par la Conagua.

Le nouvel échantillonnage d’eau a été prélevé, 70 jours après le déversement, par le Laboratorio Ingeniería de Control Ambiental y Saneamiento, S.A., de C.V. et analysé par Nova Consultores Ambientales, tous deux engagés par l’entreprise.

Les échantillons ont été prélevés dans un contexte complètement différent de celui du déversement du 8 octobre. Par exemple, aucun échantillon n’a été prélevé dans le bassin de collecte des eaux de pluie souillées – celui-là même d’où provenait le déversement- car la saison des pluies était passée et le bassin était à sec. L’échantillonnage a été effectué dans la rivière El Coyote et l’étude a conclu que les concentrations de métaux lourds étaient inférieures aux limites admissibles. Par conséquent, il a été déterminé que la rivière n’avait pas été pas affectée. « Aucune contamination d’une source réceptrice des eaux nationales n’a été prouvée », a déclaré l’entreprise.

Pour cette raison, la Conagua n’a infligé à Minera Cuzcatlán qu’une amende de 42 000 $ pour ne pas avoir empêché le déversement. « C’est dérisoire. Ces entreprises gagnent des millions de dollars en une seule journée, elles peuvent les récupérer en quelques heures », critique l’avocate Claudia Gómez Godoy, spécialiste des enjeux autochtones et de l’extractivisme.

Pour sa part, Miguel Angel Martínez Cordero, directeur général de l’Agence du bassin du Pacifique Sud de la Conagua, admet que « des éléments polluants qui n’auraient pas dû être là » ont été trouvés lors de la première analyse. Ainsi, dans le cadre de la procédure administrative, la société minière a reçu toutes les garanties nécessaires pour présenter « ce qui est dans leur droit et dans leurs intérêts ». De cette façon, la Minera Cuzcatlán a reçu le « droit de répondre, de se défendre » et « elle a fait parvenir [à la Conagua] une série de documents », a déclaré le fonctionnaire.

« Par la suite, poursuit Martínez Cordero, nous sommes entrés dans la phase de réhabilitation », c’est-à-dire que « nous devions savoir s’il y avait quelque chose à réhabiliter »; par conséquent, la Minera Cuzcatlán « devait faire un autre échantillonnage ». Selon lui, les échantillons prélevés 70 jours après le déversement « s’inscrivaient dans le cadre de la procédure administrative, en accord avec la loi ». La contamination ne se trouvait plus à cet endroit parce que « l’eau coulait, coulait, coulait ». Il admet que la contamination n’avait pas disparu, mais que les polluants ont migré « ailleurs ».

Pour Omar Arellano Aguilar, chercheur de la faculté des sciences de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), spécialiste en écotoxicologie et membre de la Society of Environmental Toxicology and Chemistry, le facteur temporel est crucial pour l’échantillonnage. Celui-ci doit être effectué dès que possible. En effet, lorsque l’eau se déplace dans les rivières, les métaux se déplacent également et ont tendance à s’accumuler dans le sol où l’eau passe. Le contaminant se trouvera donc d’abord dans l’eau, mais, au fil du temps, il sera piégé dans le sol. Voilà pourquoi il est nécessaire de prélever plusieurs échantillons non seulement de l’eau, mais aussi du sol à différents moments.

Les premières études de la Conagua présentaient des preuves suffisantes de dommages, et qu’il aurait donc fallu mettre en œuvre un plan urgent de réhabilitation pour le cours d’eau et un autre pour les communautés affectées. Il aurait aussi fallu suivre l’évolution de la contamination, selon la biologiste Martha Patricia Mora Flores, professeure et chercheuse à l’Institut national polytechnique. « Sans aucun doute, les études les plus fiables ont été celles de la Conagua. Ce qui s’est passé par la suite, c’est que les analyses faites par un organisme fondamental responsable de la protection de l’eau ont été disqualifiées. Si l’analyse avait été faite à partir des éléments initiaux identifiés par la Conagua, l’entreprise ne s’en serait pas tirée aussi facilement. Elle aurait dû justifier de nombreuses choses, ce qu’elle n’a pas eu besoin de faire avec la nouvelle étude », dit-elle.

Une erreur de transcription ?

Deux jours après le déversement, les techniciens du bureau du Procureur général fédéral pour la protection de l’environnement (Profepa) ont effectué une « visite d’inspection de routine » pour « vérifier de manière physique et documentaire (sic) […] que l’entreprise respecte ses obligations environnementales ». Leur rapport d’inspection constate que le bassin possède une vanne qui communique avec la rivière El Coyote et que sur « la surface de la vanne se trouve un sol humide imprégné de déchets miniers de couleur grisâtre, que l’on observe aussi sur le sol naturel et les mauvaises herbes qui bordent le lit de la rivière ».

Aucun échantillon de sol n’a été prélevé lors de l’inspection. Selon le Profepa, il était de la responsabilité de Minera Cuzcatlán de réaliser les études nécessaires. L’entreprise s’est donc tournée vers le laboratoire Intertek-ABC Analitic. Dix jours après le déversement, les 18 et 19 octobre, le laboratoire a effectué 12 prélèvements le long de la rivière El Coyote.

Les résultats ont révélé une contamination au thallium dans le sol à deux endroits différents le long de la rivière. L’un d’eux se trouvait à proximité du puits d’eau potable.

Sur la base des résultats des études menées par le laboratoire Intertek-ABC, la sous-délégation de l’audit environnemental et de l’inspection industrielle du Profepa, chargée de les étudier, a émis un avis technique indiquant l’existence d’une contamination au thallium.

Dans l’une des parcelles traversées par la rivière, les quantités de thallium dépassaient de 350 % les limites autorisées par la norme officielle mexicaine NOM-147-SEMANART/SSAT-2004. À l’endroit de l’échantillon du sol identifié comme « puits d’eau potable », elles les dépassaient de 300 %. « On conclut à une contamination du sol par le métal lourd thallium aux points nommés Parcelle 1498 (Thallium 0,09 mg-L) et Puits d’eau potable (Thallium 0,08 mg-L) », indique l’avis technique du Profepa.

Minera Cuzcatlán, pour sa part, a cherché à faire valoir, à l’aide de divers documents et rapports présentés au Profepa, que les métaux lourds identifiés dans le sol ne relevaient pas de sa responsabilité. Pour cette raison, elle a engagé trois cabinets de service-conseil en environnement pour analyser les résultats d’Intertek faisant état de la présence de thallium. Ces trois cabinets ont soit ignoré la présence de ce métal, soit fait valoir qu’il ne représentait pas un risque pour la santé et l’environnement.

L’un de ces cabinets de conseil, Nova Consultores Ambientales, a déclaré qu’ayant trouvé dans les échantillons d’Intertek des concentrations de thallium supérieures aux limites, il était nécessaire de procéder à un nouveau prélèvement d’échantillons. C’est le laboratoire Grupo Microanálisis qui a prélevé ces nouveaux échantillons. Il les a livrés à Minera Cuzcatlán qui, à son tour, les a livrés à Intertek pour une analyse en laboratoire. Intertek a prévenu que les échantillons n’avaient pas été correctement conservés. Toutefois, l’entreprise minière a autorisé la réalisation de l’étude. Aucun document dans le dossier ouvert par le Profepa ne questionne Minera Cuzcatlán sur ces faits.

Les résultats des échantillons mal conservés ne montraient plus la présence de thallium. Cependant, de nouveaux métaux sont apparus au-dessus des normes. Il s’agissait du baryum et du vanadium, qui dépassaient de 50 % et 72,9 %, respectivement, les limites autorisées par les normes mexicaines. Nova Consultores Ambientales a justifié que cela pouvait être dû à « un phénomène local et non au déversement ».

Finalement, le Profepa n’a pas tenu compte de toutes les analyses des consultants. À la suite de ce processus, Minera Cuzcatlán a demandé au laboratoire Intertek de vérifier les résultats dans lesquels le thallium était apparu. Intertek a accepté la demande et a conclu avoir commis une erreur dans les données qui indiquaient un taux de thallium supérieur aux normes. Intertek a soumis un nouveau tableau dans lequel la quantité de métal lourd dépassant les limites autorisées a été remplacée par le symbole « ND », indiquant qu’il n’y avait pas de thallium.

Comme le stipule le dossier examiné par l’équipe de ce reportage, le rapport final du Profepa conclut qu’en raison « d’une erreur […] dans la transcription des résultats », il a été déterminé que la présence de métaux lourds ne dépassait pas les limites autorisées. « Il est donc conclu qu’il n’y a pas de contamination du sol et que, par conséquent, aucune mesure de réhabilitation n’est nécessaire. »

Notre équipe de reportage a cherché à obtenir la version des faits de Intertek. Notre demande a été reçue par Diana Vásquez, qui nous a indiqué « qu’il n’existe pas de département de relation de presse et qu’il est compliqué de parler à quelqu’un sans avoir un contact spécifique ». Notre appel a été redirigé à la boîte vocale. Nous avons rappelé de nouveau, mais notre appel fut envoyé directement à la boîte vocale.

Selon la directrice adjointe au développement durable de Minera Cuzcatlán, Cristina Rodríguez, comme le certifient les rapports du Profepa et de la Conagua, « le ruissellement de notre bassin de collecte en octobre 2018 n’a pas causé de dommages environnementaux, principalement parce que les résidus de Compañía Minera Cuzcatlán ne sont pas classés comme dangereux ou toxiques. Toutefois, l’entreprise maintient son engagement en matière de protection de l’environnement et ses bonnes relations avec les communautés touchées par ces incidents. Ainsi, Compañía Minera Cuzcatlán a encouragé les programmes de développement de l’agriculture et de l’élevage dans la région, ainsi que la reforestation. Sans compter le contrôle fréquent de la qualité de l’eau et de l’intégrité de nos installations. »

De son côté, la biologiste Martha Patricia Mora Flores doute de l’erreur de transcription d’Intertek. « Il est difficile de croire qu’un laboratoire de pointe qui assure un complet contrôle de la qualité pour les industries du monde entier puisse commettre de telles erreurs. Les fonctionnaires auraient dû examiner attentivement les documents, notamment parce qu’il y avait des contradictions évidentes dans le dossier. » Elle explique que les fonctionnaires auraient dû demander « les résultats bruts du laboratoire et demander à un expert indépendant d’examiner et d’analyser ces résultats bruts, afin de vérifier s’il y a vraiment eu une erreur de frappe ».

On ne peut pas « faire simplement confiance à l’entreprise; il faut une garantie par le biais de tests, de nouvelles vérifications ». Le Profepa est, en fin de compte, « l’organisme responsable la qualité de l’environnement et il doit s’en occuper », ajoute l’avocate Claudia Gómez Godoy.

Les décisions du Profepa étaient fondées essentiellement sur « les preuves documentaires fournies par le représentant légal de Compañía Minera Cuzcatlán », comme indiqué dans le dossier. L’entreprise a soumis ses documents au Profepa; la sous-délégation juridique les a reçus et a demandé un avis technique à la sous-délégation de l’audit environnemental et de l’inspection industrielle. Cet avis technique se fonde sur ces documents et sur les études payées par l’entreprise. Il a ensuite été renvoyé au service juridique. C’est ainsi que les décisions ont été prises, à partir d’avis techniques fondés uniquement sur les preuves présentées par Minera Cuzcatlán.

« Aucune entreprise ne va reconnaître qu’il y a effectivement eu une contamination. Ces pratiques se prêtent à la corruption », déclare l’avocate Gómez Godoy. Selon le chercheur Arellano Aguilar, l’État se désengage de sa responsabilité de surveillance environnementale efficace et d’action en conséquence. « Le fardeau de la preuve incombe aux entreprises qui ont des laboratoires à leur solde », déclare le chercheur. Il conclut qu’« il y a un conflit d’intérêts; malheureusement, les mécanismes de réglementation ont été conçus pour cela, pour faciliter l’impunité ».

L’équipe de cette enquête a fait une demande d’entretien auprès du département de communication sociale du Profepa et nous avons été pris en charge par Rubén Jiménez. Cependant, aucune date n’a jamais été garantie pour l’entretien et, en date de publication, nous n’avons reçu aucune réponse.

L’éternelle attente de la communauté 

Les communautés touchées n’ont jamais compris le rôle des autorités environnementales dans la gestion de cet incident qui les a laissées sans eau potable et avec des problèmes de santé. « À aucun moment le Profepa, en tant qu’organisme public du gouvernement fédéral, ne s’est adressé aux communautés pour leur fournir des informations », affirme l’avocat José Pablo Antonio, qui conseille les communautés affectées.

Aquino Pedro Máximo assure que sa communauté n’a jamais été informée de la présence de ces métaux. « Nous n’avons pas d’argent pour payer nous-mêmes l’échantillonnage. Nous ne faisons pas non plus confiance aux autorités. Leur manière d’agir nous donne l’impression qu’elles travaillent à la solde de l’entreprise. Ce qui les intéresse, c’est que la minière poursuive ses exploitations. Les souffrances que nous endurons leur importent peu », partage-t-il.

Le manque d’information est une violation des droits fondamentaux, selon l’avocate Gómez Godoy. « Si les membres des communautés ne disposent pas des informations sur la qualité de l’eau, alors une série de droits sont violés : le droit à l’information, mais aussi le droit à l’eau et à la santé. L’information est fondamentale à la garantie d’autres droits ». Par ailleurs, elle souligne qu’« il est nécessaire que le Semarnat, le Profepa et la Conagua s’adaptent à la nouvelle réalité des conventions internationales relatives aux droits humains qui, au Mexique, ont un statut constitutionnel [depuis 1992] ».

Les autorités sanitaires locales n’ont pas non plus été averties de la présence des métaux identifiés ni été informées des recommandations quant aux effets possibles sur la santé. Eiser Ariel Vázquez Salazar est médecin et coordonnateur de l’unité médicale de l’Institut mexicain de sécurité sociale dans la municipalité de Magdalena Ocotlán. Il travaille depuis six ans dans cette communauté. « Officiellement, nous n’avons pas eu de protocole avec ces organismes dédiées à la protection de l’environnement, pour savoir quelle conduite suivre », se plaint-il.

Efrén Sánchez Aquino, représentant municipal de Magdalena Ocotlán depuis 2020, est lui aussi très préoccupé parce que plusieurs personnes sont tombées malades. « J’ai souffert de diarrhée et de douleurs à l’estomac durant plusieurs jours. Aujourd’hui, notre grande responsabilité en tant qu’autorité municipale est de veiller sur notre communauté. »

Le médecin Vázquez Salazar confirme que, dans les dernières années, particulièrement depuis le déversement, on observe une augmentation des maux intestinaux, des problèmes de foie, des allergies cutanées, ainsi que les maladies buccodentaires.

Notre équipe a demandé de l’information au département de la santé de la municipalité de Magdalena Ocotlán concernant le nombre maladies enregistrées depuis les cinq dernières années. L’autorité municipale de la santé a soutenu qu’il n’existait aucun registre de la sorte et nous a dirigé-e-s vers la seule unité de santé rurale de la municipalité, celle qui est coordonnée par Vázquez Salazar. Le médecin nous a confirmé qu’aucun registre systématisé n’existe dans la municipalité.

Questionné sous le principe du droit à l’information, le ministère de la Santé au niveau fédéral n’a pas non plus pu nous fournir de registre des maladies à Magdalena Ocotlán. De même, l’Institut de santé pour le bien-être n’a pas su répondre à notre demande d’information et nous a orienté-e-s vers le ministère de la Santé de l’état de Oaxaca. Ce dernier n’a pas donné suite à notre requête d’information ni aux différentes plaintes déposées.

« Nous n’avons pu obtenir une analyse ou une étude sur les impacts réels du déversement sur la santé de la communauté », indique le coordonnateur de l’unité médicale de Magdalena Ocotlán. Il ne rejette pas l’hypothèse d’une corrélation entre les problèmes de santé et le déversement et l’activité minière. « Nous constatons que des substances en lien avec le processus minier se trouvent maintenant dans la principale source d’eau de la communauté. C’est une donnée importante qu’on ne peut ignorer. »

Le directeur général de l’Organisation du bassin du Pacifique Sud de la Conagua, Miguel Ángel Martínez Cordero, affirme que son organisme n’a pas informé les communautés affectées quant aux risques pour la santé parce qu’il s’agirait plutôt de la responsabilité du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles (Semarnat).

Notre équipe a également sollicité une entrevue avec le président de l’Unité coordonnatrice de participation sociale et de transparence du Sermanat. Cette personne, Daniel Quezada Daniel, a été affectée au suivi des conflits entre les communautés et Minera Cuzcatlán. Il n’a pas donné suite à notre requête.

L’histoire se répète

Le dossier du déversement de 2018 est officiellement fermé. Pourtant, jusqu’à ce jour, les communautés affectées demeurent sans réponse. On dit que le temps guérit toutes les blessures. Les événements passés auraient pu tomber dans l’oubli. Pourtant, le 13 juillet 2020, il y a eu une nouvelle contamination.

Les éleveuses et éleveurs de bétail de Magdalena Ocotlán font boire leurs bêtes dans un petit bassin d’eaux pluviales qui se trouve à 300 mètres des installations de l’entreprise, en bordure de la rivière Santa Rosa. Elles et ils ont réalisé que l’eau était rougeâtre et qu’une mousse blanche y flottait.

Alertées par les membres de la communauté, les autorités locales ont formulé une dénonciation officielle auprès du Profepa. L’entreprise s’est empressée de nier tout déversement et a refusé toute responsabilité.

Encore une fois, les instances environnementales ont pris des échantillons d’eau et de sédiments. Deux mois plus tard, le chargé de projet environnemental de la Conagua, Ernesto Faustino González Vázquez, s’est rendu à Magdalena Ocotlán pour remettre une copie des résultats. Notre équipe était alors présente sur les lieux. Le représentant municipal en matière de travaux publics, Francisco Rosario Valencia, a alors demandé au fonctionnaire s’il y avait ou non des métaux lourds dans l’eau. Le fonctionnaire a répondu : « Nous vous avons indiqué en gras les chiffres qui dépassent les limites. […] Il n’y a aucun métal lourd, il y a juste l’aluminium qui dépasse les seuils permis. » Lorsqu’interrogé sur les effets de ce métal sur la santé, il a répondu qu’il n’était pas médecin.

Le rapport technique, auquel notre équipe a eu accès, fait état de la présence d’aluminium jusqu’à 25 900 % au-delà des normes CECA en matière de protection de la vie aquatique en eau douce. De même, la quantité de fer dépassait jusqu’à 900 % les normes établies, tandis que l’ammoniac excédait de 413,33 %. Le niveau d’oxygène était en dessous des normes idéales ce qui, selon le rapport, « indique une carence en oxygène limitant la protection de la vie aquatique ». 

Le rapport présenté par le fonctionnaire de la Conagua décharge Minera Cuzcatlán de toute responsabilité quant à la contamination de l’eau, sur la base d’une simple évaluation visuelle des installations : « En fonction des données obtenues lors de la visite de reconnaissance et grâce aux échantillons d’eau pris en six endroits différents [du collecteur d’eau], il n’est pas possible d’établir que l’agent responsable d’une probable contamination soit la mine. »

Au moment de publier cette enquête, le Profepa n’avait pas transmis à l’équipe journalistique les résultats des échantillons de sédiments. 

Ce dossier est toujours en cours. Mais l’histoire se répète. Les communautés sont maintenues à distance des actions qui semblent se décider entre l’entreprise et les autorités environnementales. 

Cette enquête a été réalisée pour Avispa Midia, Aristegui Noticias, Pie de Página et CONNECTAS avec l’appui de l’International Center for Journalists (ICFJ) dans le cadre de l’Initiative pour le journalisme d’enquête dans les Amériques.

Par : Santiago Navarro F. et Renata Bessi pour Avispa Midia, Aristegui Noticias, Pie de Página, en partenariat avec CONNECTAS.

Crédits :

Enquête : Renata Bessi et Santiago Navarro F.

Design et programmation : Pablo Angel Osorio.

Photos et vidéos : Santiago Navarro F.