HomeCommuniquéLettre de Mr. Viateur Boutot à son député Mr. Justin Trudeau

Lettre de Mr. Viateur Boutot à son député Mr. Justin Trudeau

Montréal, le 24 mai 2010

Honorable Justin Trudeau
Député de Papineau
625, rue Faillon Est
Montréal (Québec)

Monsieur Trudeau,

Une missive que je vous adressais, en date du 7 avril 2010, dans laquelle je vous manifestais ma préoccupation relativement aux impacts prévisibles de la possible mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie (ALÉCCO), est demeurée sans réponse ni même accusé de réception de votre part.
Parce que c’était là la requête que j’avais formulée dans ma lettre précédente, je me réjouis toutefois que vous ayez fait connaître votre position sur cet accord, à la Chambre des Communes, le 19 avril 20101. J’aurais aimé être convaincu, par les propos que vous avez tenus à cette occasion, que l’ALÉCCO permettrait le rétablissement, en Colombie, de règles démocratiques qui donneraient aux citoyens de ce pays la possibilité de choisir le degré de protection sociale et écologique qui leur convient.

Pourtant, les arguments que vous avez invoqués à cette occasion semblent plutôt démontrer que vous avez une compréhension limitée des répercussions négatives que pourrait avoir l’ALÉCCO, s’il était ratifié, sur les conditions de vie du peuple colombien, ses conditions de travail, ses droits à la terre et à un environnement où la biodiversité prime sur les profits des transnationales.

Au début de votre intervention en Chambre, vous avez affirmé que l’ALÉCCO était « une question économique, quand il s’agit du maintien des emplois au Canada et en Colombie ». Seriez-vous en mesure d’expliquer à la population canadienne quels sont les entraves actuelles au maintien des emplois dans ces deux pays ? Jugez-vous que les législations internationales régissant le commerce entre nations, en particulier les règles de l’Organisation mondiale du commerce, seraient à ce point inopérantes que vous prévoyez une diminution dramatique des emplois au Canada et en Colombie si l’ALÉCCO n’est pas approuvé par le Parlement canadien ?
Compte tenu de la faible importance de la Colombie comme partenaire commercial du Canada, votre argument voulant que l’ALÉCCO permettrait le maintien d’emplois au Canada me semble peu probant. En effet, dans son rapport, présenté à la Chambre le 19 juin 2008, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (CIIT) signalait que la Colombie est la cinquième destination en importance des exportations canadiennes en Amérique latine et dans les Caraïbes, et la septième source d’importations en provenance de cette région2. Combien d’emplois au Canada sont liés au commerce avec la Colombie ? Un accord de libre-échange avec ce pays ne signifierait-il pas une diminution des emplois au Canada qui serait la conséquence de l’accès à la main-d’œuvre colombienne, moins rémunérée, au bénéfice d’entreprises canadiennes souhaitant investir en Colombie ?
Plus avant, vous avez déclaré : « Les gens sont inquiets. Ils voient la violence et les conflits qui ont cours en Colombie. Ils ont peur que, par cet accord, le Canada alimente et même encourage ces comportements. La réalité c’est que pour améliorer le monde, il faut y participer pleinement. » À quelle participation faites-vous référence : au dépouillement des richesses naturelles de la Colombie et à l’exploitation de la main-d’œuvre colombienne dont les droits sont peu protégés, en raison des restrictions imposées par les lois du travail et de l’absence d’organisations syndicales représentant la majorité des travailleurs ?
Si vous connaissez un peu l’histoire de la Colombie, vous savez qu’une période de dix ans, marquée par une sanglante guerre civile, appelée ‘La Violence’ (1948-1958) a profondément marqué la société colombienne. Depuis cette époque, la Colombie vit périodiquement de violents affrontements socio-politiques auxquels ses dirigeants n’ont pas su répondre de façon adéquate. Au contraire, sous la gouvernement du président sortant, Álvaro Uribe Vélez, les privatisations brutales de sociétés publiques accompagnées de la désaccréditation de syndicats, la répression sans merci contre des défenseurs des droits de l’homme, des syndicalistes et des leaders sociaux3 ont créé un climat social digne des pires régimes anti-démocratiques.

Croyez-vous, monsieur Trudeau, avoir trouvé la panacée aux problèmes structurels qui gangrènent la société colombienne depuis une soixantaine d’années ? Pensez-vous que la société civile canadienne doit avoir l’illusion que, dans un pays où les droits fondamentaux sont bafoués de façon systématique, un accord de libre-échange avec le Canada apportera enfin le respect de valeurs démocratiques ?
Si l’équipe qui appuie votre travail de député s’acquitte bien de ses tâches, vous avez été dûment informé du scandale suscité par les révélations sur les activités du Département administratif de Sécurité (DAS), le service de renseignement politique qui dépend directement du président de la Colombie. Les récentes divulgations démontrent l’intensité de la répression à l’égard des opposants et font état des basses œuvres du Gouvernement de la Colombie exécutées avec la complicité des chefs paramilitaires à qui les autorités confient l’assassinat de leaders de la société civile4.

Il est étonnant de constater que vos collègues des autres partis d’opposition aux Communes, le Nouveau Parti Démocratique et le Bloc Québécois, semblent n’avoir eu aucune difficulté à bien comprendre la situation qui prévaut en Colombie, notamment au chapitre des droits de l’homme, comme le prouvent leurs interventions dans les débats sur le projet de loi C-2 portant sur la ratification l’ALÉCCO. Ces députés ont énoncé et répété des arguments basés sur des faits qui auraient dû vous convaincre que l’accord proposé n’augure rien de bon pour le peuple colombien ni pour les citoyens canadiens, y inclus vos électeurs.

 

Le mythe du libre-échange

Entre les partenaires d’un accord commercial, il existe toujours un déséquilibre. Il y a, dans les échanges commerciaux, un pays gagnant et un pays perdant. Le partenaire dont la force économique est supérieure bénéficie davantage des échanges au détriment du pays dont l’économie est plus faible. Il n’y a pas, dans le commerce, de sentiments altruistes. Au mieux, les parties intéressées en arrivent, dans un accord commercial, à identifier des avantages souhaités.

Lors de votre intervention parlementaire du 19 avril, vous sembliez croire que la Colombie et le Canada, leur peuple respectif, seraient avantagés par la mise en œuvre de l’ALÉCCO. Assimiler les intérêts des entreprises canadiennes à ceux de l’ensemble des Canadiens, ce serait supposer que tous les secteurs de la population profiteraient de l’entrée en vigueur de l’ALÉCCO. Pourtant, votre première référence aux possibles bénéficiaires de l’accord est révélatrice : « Les organisations commerciales canadiennes, et certaines PME, voient les débouchés qu’ouvrira cet accord. D’autres sociétés canadiennes comme SNC-Lavalin et Brookfield Asset Management ont ouvert des bureaux à Bogotá et ont établi un fonds de 500 millions de dollars destiné aux investissements en Colombie. » Les secteurs de la population qui tireraient avantage de l’ALÉCCO seraient, au premier chef, ceux appartenant au milieu corporatif, aux grandes entreprises ayant la capacité d’investir à l’étranger. Se bercer de l’illusion que la population canadienne, en particulier les travailleurs du pays, bénéficieraient de la mise en œuvre de l’accord avec la Colombie, c’est, j’en suis convaincu, refuser de faire face à la réalité.

Une analyse rigoureuse des répercussions de traités de libre-échange déjà en vigueur vous aurait démontré que les avantages économiques recherchés par ce type d’accord sont, d’abord et avant tout, de créer des conditions favorables aux investissements étrangers dans un pays, en garantissant le maximum de profits aux entreprises participantes. Dans ma précédente missive, je vous faisais remarquer que des observateurs éclairés des échanges commerciaux entre nations, notamment l’éminent spécialiste de l’Université du Québec à Montréal, Dorval Brunelle, signalent que l ‘ALÉCCO, sous prétexte de contribuer à l’accroissement du commerce vise, dans les faits, à instaurer des règles favorisant les investissements de sociétés canadiennes cherchant à profiter des riches ressources naturelles de la Colombie, en particulier dans le secteur des mines.

Par ailleurs, pourquoi prétendre que l’ALÉCCO bénéficiera de façon prioritaire au peuple colombien ? Plusieurs analystes des échanges commerciaux internationaux signalent que le libre-échange ne crée pas la richesse également chez les partenaires. Ainsi, un économiste de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) qui s‘est penché sur la question du libre-échange a conclu que « le libre-échange encourage les stratégies prédatrices, que ce soit à l’échelle des entreprises qui délocalisent les sites de production… ou à l’échelle des autorités publiques qui misent massivement sur la croissance tirée par les exportations au lieu de construire les marchés intérieurs… pour qu’une stratégie prédatrice soit possible, encore faut-il qu’existe une population de proies… Si tous les pays s’engagent dans des stratégies de prédation, alors on aboutit à un effondrement à terme du commerce international. »5

Les possibilités d’investissement en Colombie ont été précédées du déplacement forcé de millions de personnes pour ‘libérer’ les terres convoitées, d’une part, par l’agro-industrie, notamment pour la production de bio-carburants à partir de la palme africaine et de la canne à sucre, et, d’autre part, pour l’extraction de minerais et de pétrole. En outre, la violente répression anti-syndicale a mené à la désorganisation du monde ouvrier, ce qui favorise l’exploitation des travailleurs dans un contexte où la protection de leurs droits fondamentaux est désormais aléatoire. De plus, les législations colombiennes sur le travail offrent peu de protection à la main-d’œuvre contre les abus des entreprises étrangères qui, soyons clairs, n’ont pas pour objectif d’améliorer la situation des droits de l’homme mais visent plutôt à accroître leurs profits.

L’ALÉCCO vise à faciliter les investissement canadiens. Argumenter que le but premier visé par cet accord est d’accroître le commerce, c’est masquer la réalité. De plus, investir dans un pays où les droits de l’homme sont bafoués de façon ignominieuse, notamment dans le monde du travail, c’est donner son appui à un gouvernement qui, par ses graves actions répressives contre la population civile, a perdu toute légitimité.

 

Le commerce et les droits de l’homme

Après que vous ayez affirmé, aux Communes, qu’un accroissement du commerce avec la Colombie devrait contribuer à améliorer la situation des droits de l’homme, je me suis interrogé sur le fondement de votre conviction. Alors que le commerce du Canada avec la Colombie a atteint plus de 1,3 milliard de dollars en 2009, comme vous l’avez signalé en Chambre, qu’est-ce qui vous permet de croire que si les échanges commerciaux entre les deux pays devaient augmenter, la situation des droits de l’homme en Colombie s’améliorerait ?

Sachant que le volume des échanges commerciaux entre la Colombie et le Canada est relativement faible, qu’il y a autant de déplacés et de réfugiés colombiens, pourquoi croyez-vous qu’un accroissement des échanges commerciaux favoriserait une diminution des violations des droits de l’homme ? Si vous estimez que le commerce entre le Canada et la Colombie est le garant et le promoteur des droits de l’homme, comment expliquez-vous les violations de l’État colombien à ce chapitre, dans le contexte commercial actuel ? D’où vous vient l’équation que vous faites entre l’augmentation du commerce et le respect des droits de l’homme ?

Préconisez-vous, en priorité, une participation des entreprises canadiennes au dépeçage des ressources naturelles la Colombie dans un climat socio-politique favorisant les investissements tout en limitant les droits fondamentaux du peuple colombien ? Votre supposition que l’accroissement du commerce avec la Colombie s’accompagnerait de l’amélioration de la situation des droits de l’homme est en dichotomie avec la réalité colombienne. D’une part, le commerce existant déjà entre les deux pays se fait dans un contexte où d’innombrables violations des droits fondamentaux sont perpétrées et, d’autre part, un traité de libre-échange déboucherait surtout sur un accroissement des investissements canadiens en Colombie avec peu d’avantages pour les travailleurs canadiens et une exploitation de la main-d’œuvre colombienne mal protégée quant à ses droits fondamentaux.

Dans ma précédente missive, je vous demandais : « Dans l’histoire récente des relations qu’entretient le Canada avec des pays partenaires, connaissez-vous une entente commerciale tel un accord de libre-échange qui aurait eu pour résultat d’améliorer les conditions de vie des peuples dans les pays signataires, notamment au chapitre des droits de l’homme ? » Vous n’avez pas répondu à cette interrogation.

Si le passé est garant de l’avenir, rien ne permet de croire qu’un accord de libre-échange contraindrait les entreprises canadiennes à respecter les droits de l’homme en Colombie. J’en veux pour preuve les violations des droits de l’homme dans des activités minières dans lesquelles sont impliquées des entreprises canadiennes, notamment dans l’État de San Luis Potosí, au Mexique ? Le Canada a un traité de libre-échange avec ce pays et les menaces suivies d’assassinats à l’encontre de syndicalistes dans cette région minière devraient vous inciter à la prudence avant d’affirmer que le libre-échange favorise l’amélioration de la situation des droits de l’homme6.

 

L’ALÉCCO et l’environnement

Dans vos commentaires aux Communes, vous avez soutenu que le Canada était un pays « respectueux de l’environnement ». Puisque vous siégez, monsieur Trudeau, au Comité permanent de l’environnement et du développement durable des Communes, vous savez que les Canadiens sont préoccupés par de nombreux problèmes liés à l’environnement auxquels le Gouvernement du Canada ne semble pas accorder toute l’attention nécessaire. Je suis notamment inquiet des conséquences à long terme de l’exploitation des sables bitumineux, en Alberta, et, dans l’immédiat, du forage du puits Lona O-55, au nord-est de Terre-Neuve, à 2,5 kilomètres de profondeur, alors qu’un forage de moindre profondeur est à la source du désastre environnemental actuellement en progression dans le Golfe du Mexique7.

Quant aux conséquences que pourrait avoir la mise en œuvre de l’ALÉCCO au plan de l’environnement, quel bilan faites-vous des impacts sur la biodiversité, en Colombie, des plantations à grande échelle en vue de la production de bio-carburants ? Par ailleurs, avez-vous procédé à une évaluation des conséquences sur l’environnement de l’extraction de pétrole et des activités minières en Colombie ? Ces domaines sont le champ d’intérêt principal d’entreprises canadiennes qui ont pour objectif de participer, dans les conditions les plus favorables, à l’exploitation des ressources colombiennes pour en tirer d’immenses profits. Quelles garanties êtes-vous en mesure d’obtenir de la Colombie quant au respect de l’environnement dans les domaines de l’agro-industrie et de l’exploitation minière ?

 

Les droits de l’homme et le Parti libéral du Canada

Vous avez soutenu, aux Communes, que « l’opposition officielle a joué un rôle important dans la conclusion de cet accord ». Ce propos étonne puisque, d’une part, l’ALÉCCO a été négocié en catimini et, d’autre part, l’annonce de la conclusion de l’accord est intervenue le 7 juin 2008, soit 11 jours avant le dépôt du rapport du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (CIIT) qui recommandait « qu’un organe compétent effectue un examen indépendant, impartial et complet des répercussions d’un accord sur les droits de la personne, examen qui serait vérifié et validé, puis qu’il formule des recommandations à mettre en œuvre avant que le Canada n’envisage de signer, de ratifier et d’exécuter un accord avec la Colombie. »8 Pourriez-vous préciser quel rôle les députés du Parti libéral du Canada (PLC) ont joué dans la négociation de l’accord ?

En Chambre, vous avez déclaré : « Les droits de la personne sont au cœur des valeurs des libéraux… pour que nous puissions appuyer cet accord, nous devions nous assurer que l’accord économique avec la Colombie comportait des dispositions protégeant les droits des travailleurs colombiens et évitant que nos entreprises ne soient mêlées à des conflits concernant les droits de la personne. » La simple affirmation voulant que votre parti place les droits de l’homme au centre de ses préoccupations n’est pas une preuve. Seuls les faits pourraient appuyer une telle assertion.

En effet, il m’est difficile de comprendre comment vous pouvez vous réclamer de valeurs fondatrices de la démocratie canadienne et fermer les yeux sur le déplacement forcé de populations dans les régions fertiles et riches en ressources minières de la Colombie. Le déplacement de quelque 5 millions de Colombiens9, la violence et la répression qui ont obligé des millions de personnes à quitter la Colombie font-ils partie des préoccupations des députés du PLC ?

Il appert que si l’intérêt libéral pour les droits de l’homme était d’un autre ordre que celui de la simple assertion, votre parti aurait examiné les faits et réalisé une étude sur les impacts prévisibles de la mise en œuvre de l’ALÉCCO tel que le recommandait, déjà, en 2008, l’institution démocratique du Parlement canadien, le CIIT.

De quels moyens dispose le PLC pour que les lois colombiennes soient modifiées de façon à assurer que les droits des travailleurs colombiens soient respectés ? Compte tenu du nombre effarant d’assassinats de syndicalistes, en Colombie, chaque année, comment votre parti pense-t-il être en mesure de mettre un frein à ces graves atteintes à la vie humaine et au droit d’association ?

Votre collègue aux Communes, Scott Brison, en négociant un amendement à l’ALÉCCO qui propose de faire le bilan annuel des violations des droits de l’homme en Colombie, a fait preuve du même opportunisme que celui qui caractérise l’ensemble de son parcours politique. Face aux enjeux liés à l’ALÉCCO, je ne vois là qu’une manœuvre dilatoire plutôt qu’une solution pérenne. La question fondamentale du respect des droits de l’homme est reléguée à plus tard.

Pourtant, si votre parti était respectueux des institutions démocratiques, d’une part, vous dénonceriez avec vigueur la conclusion de l’accord qui, en 2008, a court-circuité les travaux du CIIT et, d’autre part, vous exigeriez une évaluation de la situation des droits de l’homme en Colombie, maintenant.

Quel bilan le PLC a-t-il fait de la situation des droits de l’homme en Colombie, avant que ne débutent les débats sur l’ALÉCCO ? Comment votre parti peut-il fermer les yeux sur le déplacement de millions de personnes et l’assassinat de membres de la société civile dont le seul crime est de dénoncer les abus du Gouvernement de la Colombie ?

Votre déclaration, au Parlement, voulant que d’éventuels bilans annuels du respect des droits de l’homme en Colombie pourraient « guider la politique étrangère du Canada à l’égard de la Colombie » me laisse songeur. Serait-ce que votre parti n’a pas encore établi quelle devrait être la politique étrangère du Canada face à un pays qui s’est déjà`rendu coupable des pires violations des droits de l’homme ?

Dans votre intervention, vous avez indiqué, de plus, que le « Parti libéral estime que le Canada a l’obligation morale d’aider la Colombie à continuer d’améliorer son bilan au chapitre des droits de la personne. » Les déplacements massifs de population et les assassinats de membres de la société civile se poursuivent en Colombie. Quelles améliorations identifiez-vous ? En somme, ne demandez-vous pas aux Canadiens de croire que l’ALÉCCO, en favorisant la participation des entreprises canadiennes à l’exploitation des ressources naturelles de la Colombie, conduira inévitablement à une amélioration de la situation des droits de l’homme dans ce pays. Voilà qui n’est guère convaincant.

La logique que défend le PLC semble être de proposer aux peuples colombien et canadien, en contrepartie des avantages dont bénéficieraient les sociétés canadiennes ayant la capacité d’investir en Colombie, un rapport occasionnel sur les violations des droits de l’homme dans ce pays. Ne croyez-vous pas qu’il y aurait ainsi démesure et renoncement aux valeurs dont se réclame votre parti ?

En tant que citoyen et observateur de la situation politique au Canada, je m’inquiète du virage à droite du Parti libéral du Canada. Il m’est de plus en plus difficile de voir la différence entre les positions de votre parti sur des enjeux essentiels et celles préconisées par le Parti Conservateur du Canada (PCC). Si je suis conscient de la volonté du PLC de prendre le pouvoir à Ottawa, je demeure étonné des compromis voire des compromissions auxquels les députés libéraux sont prêts à se soumettre à l’encontre des principes démocratiques qui ont guidé, par le passé, votre organisation politique. Dans le cas du débat sur l’ALÉCCO, je me demande si le Parti libéral du Canada représente fidèlement les intérêts des Canadiens.

C’est avec une profonde déception que je vois le grand parti dont vous vantez les mérites refuser de jouer son rôle d’Opposition à la Chambre des Communes. Dans le système parlementaire canadien, c’est la responsabilité, c’est le mandat qui vous a été confié par les électeurs canadiens. En refusant de critiquer les positions du PCC dans le dossier de l’ALÉCCO, en apportant sa collaboration aveugle au parti au pouvoir, j’estime que le PLC trahit la démocratie et l’ensemble des Canadiens.

Alors que plusieurs secteurs de la société civile canadienne s’inquiètent des conséquences de l’ALÉCCO, le Parti libéral du Canada préconise un accroissement des investissements canadiens en Colombie en prétextant que cette participation à l’exploitation des ressources colombiennes bénéficierait aux citoyens canadiens et contribuerait au respect des droits de l’homme en Colombie. Votre parti a le devoir de répondre aux interrogations exprimées par la société civile au sujet de cet accord. Pour le moment, je ne perçois pas une telle volonté au sein du PLC.

 

Audiences du CIIT

Après l’approbation en deuxième lecture du projet de loi C-2 avec, entre autres, votre vote, je me suis intéressé aux témoignages de citoyens canadiens et colombiens qui, même sans être habitués à ce type de démarche, ont eu le courage et la valeur d’exposer leur position sur l’ALÉCCO devant le CIIT. Malheureusement, certains représentants de la société civile ont dû affronter les manœuvres des députés du PCC et de vos collègues du PLC siégeant à ce comité.

Il faut, certes, un haut degré de conviction et de détermination pour, non seulement prendre la parole devant le CIIT mais également subir les affronts dont ont fait état des collègues ayant suivi ces audiences. Ce mépris manifeste pour l’opinion de Canadiens et d’autres parties intéressées est très décevant et contribue à alimenter le cynisme de plusieurs citoyens vis-à-vis nos institutions. Cette situation, monsieur Trudeau, vous préoccupe-t-elle ?

Si vous n’êtes pas responsable du manque d’éthique voire d’éducation de vos collègues libéraux siégeant au CIIT, vous conviendrez avec moi qu’en démocratie, il sied de faire preuve de respect à l’égard de citoyens qui méritent qu’on les écoute, que leurs idées soient en accord ou non avec les nôtres.

Cette politesse est également requise pour des invités qui, venus de l’étranger, viennent témoigner devant le Comité pour partager leur point de vue. Le manque de dignité et de décorum de la part de vos collègues du PLC siégeant au CIIT sont une honte pour la démocratie au Canada.

Si les comportements loufoques de certains parlementaires sont bien connus par la population canadienne, comme s’il existait chez eux un profond mépris pour leurs électeurs, il est inadmissible d’affliger d’un vil traitement des citoyens issus de la société civile qui ne font pas carrière dans les débats oratoires où les coups les plus pas sont chose commune, les députés étant protégés par l’immunité parlementaire. L’attitude méprisante de vos collègues envers les personnes venant témoigner devant le CIIT vont à l’encontre des valeurs élémentaires de respect et de bienséance. Sont-ce là les défenseurs de la démocratie au Canada et en Colombie auxquels vous vous associez ?

 

Votre position sur l’ALÉCCO

En conclusion, monsieur Trudeau, si je ne doute pas de votre bonne foi, je suis toutefois étonné que, d’une part, vous soyez, en apparence, si peu informé du drame qui accable le peuple colombien et, d’autre part, que vous sembliez sourd aux appels à une prise de conscience des possibles conséquences de la mise en œuvre de l’ALÉCCO.

Plusieurs des observations exprimées dans la présente missive vous ont été communiquées dans ma lettre du 7 avril. Si vous l’avez lue, votre intervention aux Communes n’apporte aucune réponse satisfaisante à mes préoccupations comme citoyen canadien, inquiet de voir le Canada s’engager dans une relation économique avec un des pires régimes anti-démocratiques de la planète. Cette constatation m’amène à me demander si vous êtes à l’écoute des plaidoyers de vos électeurs.

Si vous souhaitez contribuer au respect des droits de l’homme en Colombie, tel que je pourrais le supposer par vos propos en Chambre, il me semble que vous choisissez le mauvais chemin en souhaitant approuver l’ALÉCCO, avec grand empressement, tout en reléguant à un futur indéterminé des actions face aux graves violations des droits fondamentaux des Colombiens. Alors, que ferez-vous, maintenant, pour pallier au déplacement forcé de millions de citoyens en Colombie ? Quelle évaluation faites-vous des attaques destructrices à l’encontre du mouvement ouvrier par le Gouvernement de la Colombie ? Êtes-vous préoccupé par le manque de protection des travailleurs de la Colombie en raison des limitations imposées les lois du travail et l’assassinat sélectif de dirigeants syndicaux ?

Pourquoi, monsieur Trudeau, demandez-vous aux Canadiens de partager l’illusion d’un monde meilleur pour la population colombienne par l’ingrédient magique d’une augmentation du commerce ? Si votre idéalisme et votre optimisme sont, à prime abord, admirables, le choc avec la réalité colombienne ébranle sérieusement la confiance que je devrais avoir, en tant qu’électeur de votre circonscription, en votre capacité de comprendre les enjeux liés à l’ALÉCCO et d’agir en conséquence dans le débat sur cet accord.

Si vos convictions proclamées quant à la défense des droits de l’homme en Colombie sont sincères et non une déclaration vide de sens, vous avez, dans le cadre des débats sur l’ALÉCCO, l’occasion de prendre la décision qui s’impose. Pour le moment, je considère que votre cheminent dans ce dossier est confus.

Sur le chemin tortueux de la vie politique, je me demande si vous avez exprimé à la Chambre des communes le point de vue de votre parti ou si vous avez l’indépendance d’esprit nécessaire et jouissez de l’autonomie suffisante pour joindre les principes que vous invoquez à des prises de position cohérentes. Lors des débats sur le projet de loi C-23 sur l’ALÉCCO, le 7 octobre 2009, vous avez voté contre l’approbation de l’accord10. Le 16 avril, lors des débats sur le projet C-2 qui a remplacé le projet de loi C-23 – mort au feuilleton, en décembre 2009 – vous avez, dans un premier temps, voté contre une motion visant à limiter les débats sur le projet de loi, en deuxième lecture11. Trois jours plus tard, vous vous êtes prononcé en faveur du projet de loi et, en conséquence, à son renvoi devant le CIIT12.

Si ‘l’amendement Brison’ est le fondement de votre appui à l’ALÉCCO, je m’interroge sur votre sensibilité à la désastreuse situation des droits de l’homme en Colombie. Vous avez déclaré, aux Communes, que « ce ne sont pas tous les pays au monde qui peuvent se vanter d’avoir le bilan flatteur que le Canada a dans le domaine des droits de la personne. » Cette opinion mérite certes d’être nuancée. Le Canada n’est peut-être pas aussi blanc que neige comme votre propos semble vouloir le laisser croire. Je m’interroge notamment sur les cas d’Omar Khadr, détenu à Guantanamo, et des prisonniers remis, par les militaires canadiens opérant en Afghanistan, aux autorités locales, sans garanties sur les traitements réservés à ces combattants. Par ailleurs, le Canada n’a toujours pas souscrit à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones13.

Comme député de la circonscription de Papineau, vous avez la responsabilité de convaincre vos électeurs que l’ALÉCCO ne vise pas, purement et simplement, à bénéficier aux investisseurs canadiens. Pour le moment, vous n’avez pas répondu à cette attente.
Je vous exhorte donc, monsieur Trudeau, à élever le niveau de votre réflexion. En tant que parlementaire, représentant des volontés non seulement de vos électeurs mais également de l’ensemble des citoyens canadiens, vous avez le devoir de défendre les valeurs liés aux droits fondamentaux des peuples que vous affirmez être celles du Parti libéral du Canada et les vôtres.

Bien sûr, si j’ai pris le temps de vous écrire cette lettre, c’est que je ne désespère que l’intelligence, soit la compréhension des enjeux liés à l’ALÉCCO, prévale. Dans le contexte des débats sur l’ALÉCCO, vous avez la possibilité de faire le lien entre les idéaux que vous proclamez et la réalité quotidienne du peuple colombien. Si je n’ai plus guère d’illusions quant aux intérêts défendus par le PLC dans les débats sur l’Accord de libre-échange avec la Colombie, je demeure toutefois confiant que mon député saura se tenir debout et défendre les valeurs de la démocratie, au Canada comme en Colombie.

Recevez, monsieur Trudeau, l’expression de mes sentiments distingués.

Viateur Boutot

Case postale 257
Succursale St-Michel
Montréal (Québec) H2A 3M1


c.c. Tous les députés du
Bloc québécois
Nouveau parti démocratique
Parti conservateur du Canada
Parti libéral du Canada
Le journal Le Quotidien
Le Journal de Québec
Le quotidien La Presse
Le quotidien Le Soleil
Le quotidien Le Devoir
Le Service de l’information de Radio-Canada
Le Comité pour les droits humains en Amérique latine
La Coalition SOS Colombie
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notes :

1. http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Pub=Hansard&Doc=28&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=3

2. http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=3580301&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2&File=30#TOCLink_03

3. Voir, notamment :
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20100520.FAP1953/un-defenseur-des-sans-terre-assassine-en-colombie.html

4. http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-04-27-Colombie

5. Sapir, Jacques

« Libre-échange, croissance et développement. Quelques mythes de l’économie vulgaire », Revue du Mauss, n° 30, 2e semestre 2007, La Découverte, Paris.

Voir également un article du même auteur :
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/SAPIR/16882

6. http://www.aldeah.org/fr/mexique-conflit-minier-cerro-san-pedro-san-luis-potosi-lorsque-justice-n-existe-plus

7. http://www.cbc.ca/technology/story/2010/05/10/nl-chevron-deepwell-510.html?ref=rss

8. http://cmte.parl.gc.ca/Content/HOC/committee/392/ciit/reports/rp3580301/ciitrp05/04-rep-f.htm

9. http://www.tdg.ch/actu/monde/piedad-cordoba-issue-politique-guerre-colombie-2010-04-11

10. http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Pub=Hansard&Doc=92&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=2

11. http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Pub=Hansard&Doc=27&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=3

12, http://www2.parl.gc.ca/CommitteeBusiness/OrderofReference.aspx?Cmte=CIIT&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=3&Stac=3105923

13. http://www.amnistie.ca/content/view/41/56/.