HomeCommuniquéLe différend sur le lithium au Mexique: bipolarité politique mais unité économique

Le différend sur le lithium au Mexique: bipolarité politique mais unité économique

Le 20 avril dernier, un décret réformant et ajoutant diverses dispositions à la loi minière a été publié dans le Journal officiel de la Fédération. Il s’agit de modifications apportées pour que « l’exploration, l’exploitation, le bénéfice et l’utilisation du lithium soient de la responsabilité de l’État, par le biais d’un organisme public décentralisé ». Dans ce contexte, et face à un tableau d’amertume dichotomique promu par le monde des affaires, les partis politiques et le gouvernement, REMA (Red Mexicana de Afectados por la mineria) tient à dire ce qui suit :

Que face à tout ce qui devrait être abrogé par cette Loi, le gouvernement a décidé de maintenir la soumission devant le marché et devant le modèle extractif avec lequel le décret a été conçu en 1992. Pour commencer, ce décret continue de légaliser le pillage, la dépossession des communautés, la destruction de la nature et les très graves atteintes à la santé que l’exploitation minière au Mexique provoque jour après jour. De plus, les modifications approuvées, bien qu’elles changent les acteurs autorisés à exploiter des minéraux (le lithium, et, comme le stipule l’article 10, « d’autres minéraux déclarés stratégiques par l’État »), le font sans remettre en question le modèle de fonctionnement du néo-extractivisme pour obtenir ce qui est aujourd’hui, dit-on, un métal « stratégique ».

Nous savons que le lithium est un métal fondamental pour ce que les entreprises et les États appellent la « transition énergétique ». Nous savons que la valeur de ce minéral a augmenté de 250 % au cours des trois derniers mois de cette année seulement. Mais nous connaissons également les très graves dommages sociaux et environnementaux causés par l’exploitation de ce métal dans le monde et c’est pourquoi, depuis le REMA, nous appelons la société à débattre au-delà des récits dichotomiques et simplistes sur le « public » et le « privé », imposés par les partis politiques, les entreprises et certains médias. Au REMA, nous pensons qu’il est urgent d’aborder ce que nous considérons comme la véritable substance du débat que nous devons avoir en tant que société dans cette affaire : les causes et les conséquences du modèle extractif (quiconque le promeut) et du supposé « modèle de développement » qui est promu sur la base de toutes les destructions causées par celui-ci.

Que dit cette réforme ? 

Cette réforme du droit minier, comme on l’a dit, ne nationalise pas le lithium, qui est un minerai qui, dans le sous-sol, comme les autres, était déjà considéré comme la propriété de la nation. Cette réforme crée une exception, de sorte que l’exploration, l’exploitation, le bénéfice et l’utilisation du lithium, contrairement à la majorité des minéraux, « relèvent de la responsabilité de l’État ». Toutefois, cela ne signifie pas la suppression des concessions accordées ni l’expulsion des entreprises déjà en activité. Cette réforme ne nie pas non plus que l’exploitation, le bénéfice et l’utilisation du lithium seront assurés « exclusivement » par l’État, mais elle ouvre la possibilité que la société publique et décentralisée qui sera constituée pour gérer ces activités puisse s’associer à des capitaux nationaux ou étrangers à cette fin. C’est ainsi que les entreprises étrangères qui ont déjà des concessions et les entreprises nationales, qui ne manqueront pas de vouloir se joindre au butin, pourraient se retrouver en collaboration avec l’État dans cette activité. Des entreprises telles que Peñoles (qui appartient à la famille Bailleres), Frisco (qui appartient à Slim) et Grupo México (qui appartient à la famille Larrea), des entreprises tenues aux normes élevées en matière de responsabilité, de réparation des dommages et d’accusations de crimes, pourraient se joindre à ce festin. Mais elles devront le faire en compagnie de l’organe créé à cet effet par l’État.

Afin d’identifier d’éventuels gisements de lithium, qui pourraient ensuite être exploités par l’organisme public décentralisé qui sera créé, le service géologique mexicain (SGM) effectuera des travaux d’inspection dans 82 sites dans 18 États de la république (Chiapas, Chihuahua, Coahuila, Durango, Guanajuato, Hidalgo, Jalisco, Michoacán, Morelos, Nuevo León, Oaxaca, Puebla, San Luis Potosí, Sinaloa, Sonora, Tamaulipas, Veracruz et Zacatecas). Qu’arrivera-t-il aux communautés chez lesquelles on trouvera des quantités suffisantes de lithium pour être exploitées ? Il est certain que le gouvernement déploiera toutes ses forces pour faire avancer ces projets, sans tenir compte de l’avis des communautés locales, en accélérant et/ou contournant les permis nécessaires, en traitant les données à sa guise, comme actuellement avec d’autres projets emblématiques des 4T tels que le Couloir Interocéanique ou le Train Maya. Il y a également un risque grave que les processus d’expropriation soient menés sous la notion « d’utilité publique », ou sous la bannière du bénéfice du peuple mexicain et de la souveraineté énergétique nationale.

De plus, il convient de souligner que la plupart des États où le SGM effectuera des travaux d’inspection en vue d’une éventuelle exploitation du lithium souffrent actuellement d’un stress hydrique important et de problèmes de pénurie et de contamination de l’eau. L’un des principaux impacts de l’exploitation du lithium dénoncé par les peuples de la région des Salines andines d’Amérique du Sud est précisément la grande quantité d’eau nécessaire au processus d’évaporation lié à l’extraction du lithium dans les salines ou les saumures. C’est pourquoi l’extraction du lithium a été appelée « exploitation minière de l’eau ». Des études menées dans les salines d’Atacama montrent que « pour produire une tonne de lithium, 2 millions de litres d’eau s’évaporent des puits, soit 2 000 tonnes d’eau qui ne peuvent être recyclées ». Comment peut-on parler d’un décret et d’une proposition « en faveur du peuple mexicain » alors qu’ils mettront en danger l’un de leurs biens les plus importants et les plus vitaux : l’eau ?

Le décret précise qu’il sera « du devoir de l’État de protéger et de garantir la santé des Mexicains, l’environnement et les droits des peuples autochtones, des communautés autochtones et des Afro-Mexicains ». Ce devoir de l’État envers sa population est censé être un fait déjà établi par la Constitution et ne devrait pas nécessiter un nouveau décret pour être appliqué. En effet, le fait qu’il s’agisse d’un organisme parapublic ne garantit en rien le respect de ces aspects. Les exemples de graves impacts causés par les projets de PEMEX ou de CFE sont nombreux, de même que les exemples de désinformation, d’imposition et de criminalisation qui ont toujours été utilisés pour les promouvoir, tout autant que ceux employés par les entreprises privées.

Qu’est-ce qui n’est pas visé par cette réforme ? 

Ni l’exploitation minière ni le modèle extractiviste par lequel elle fonctionne ne sont modifiés le moins du monde. Le 4T et les autres partis politiques au pouvoir esquivent les demandes de justice que nous, peuples autochtones, communautés paysannes, citoyens individuels et organisations, formulons face aux activités minières. Ils nient l’opportunité d’initier une réflexion fondamentale qui ne considérerait pas l’exploitation des minéraux et leur circulation sur le marché comme le seul moyen de profiter du modèle économique imposé. Tous les partis et les hommes d’affaires disent que le lithium est stratégique pour le processus de transition énergétique, mais la question ne se pose pas : « transition énergétique », pour quoi ? pour qui ? et à quel prix ?

​​Il n’y a pas non plus de discussion de fond sur la destination et les utilisateurs finaux du lithium. Actuellement, 88 % de la croissance de la demande de lithium est liée à la fabrication de voitures électriques. Au Mexique, les impacts environnementaux et l’exploitation de la main-d’œuvre liés à l’activité automobile, liés à la logique d’externalisation des coûts mise en œuvre par les États-Unis ou plus récemment par certains pays asiatiques, se manifestent depuis plusieurs décennies. L’expansion du modèle et de la frontière extractive au Mexique, et les impacts qui en découlent, pour générer une production destinée à être exportée et consommée dans d’autres pays, remet en question la prétendue souveraineté nationale proclamée par ce décret. Le récit dominant de la nécessité du lithium pour les véhicules électriques ne remet d’ailleurs pas en cause ce modèle de transport individualiste et élitiste. Il permet de continuer à positionner de fausses solutions technologiques à l’éventuel remplacement du pétrole (gaz par fracturation, minéraux stratégiques, exploitation minière sous-marine, hydrogène) sans remettre en cause ni changer le modèle économique capitaliste basé sur des activités extractivistes, de sous-traitance et d’exploitation. La transition énergétique qu’ils proposent est une transition de marché, de technologie et de capitalisme rapace qui donne du pouvoir, enrichit et augmente les inégalités.

D’autre part, le décret ne fait rien pour libérer l’État de la structure néolibérale à laquelle il a été lié par la signature d’accords de libre-échange et d’autres accords internationaux d’investissement, tels que l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) qui inclut le Canada, ou l’Accord sur la protection et la promotion réciproques des investissements (APPRI) entre le Mexique et la Chine, pour n’en citer que deux, qui soumettent la souveraineté de l’État aux intérêts et aux caprices du capital transnational qui menacent de poursuites actuelles et futures pour des décisions comme celle-ci. Alors que le discours gouvernemental promet d’annuler les permis des entreprises privées, qu’en sera-t-il, par exemple, du projet minier Bacanora à Sonora, acquis par la puissante entreprise chinoise Ganfeng Lithium, qui contrôle actuellement la moitié de la production mondiale de lithium et qui ne se retirera sûrement pas si facilement de ce marché lucratif. Actuellement, il existe différents mécanismes permettant aux entreprises de recourir à des tribunaux d’arbitrage privés tels que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale, qui tranche sur les différends entre investisseurs et États. Ces mécanismes sont permis par les 14 accords de libre-échange (ALE) que le Mexique a signés avec 50 pays et les 30 accords de promotion et de protection réciproque des investissements (APPRI), traités qui ont été réaffirmés dans certains cas par le gouvernement du 4T et à propos desquels il n’y a pas de discours prétendument critique alors que ce sont les mécanismes qui mettent en échec une éventuelle souveraineté nationale.

Le soi-disant 4T n’a pas répondu à la demande de nombreuses organisations sociales d’arrêter l’exploitation minière, ni à la demande de justice pour les persécutions, les crimes et les dommages causés par l’exploitation minière dans le pays. Actuellement, il existe un peu plus de 24 000 concessions minières en activité, et la superficie concédée pour cette activité est d’environ 17 millions d’hectares, ce qui correspond à 8,63 % du territoire national. Pour sa part, la SEMARNAT a continué à autoriser des projets d’exploration et d’exploitation minières au cours de son mandat de six ans.

Ceux d’entre nous qui sont touchés par l’exploitation minière demandent que l’on comprenne que le modèle extractif est la véritable cause du problème, que l’entreprise soit étatique, publique ou privée. Nous, les personnes touchées par l’exploitation minière, disons NON à l’exploration, l’exploitation, le traitement et l’utilisation du lithium et d’autres minéraux. La véritable utilité publique de ces minéraux est la volonté de les laisser dans le sous-sol.

POUR DES TERRITOIRES LIBÉRÉS DU MODÈLE EXTRACTIF

STOP À LA DÉVASTATION DE L’ACTIVITÉ MINIÈRE

RÉSEAU MEXICAIN DES PERSONNES AFFECTÉES PAR L’EXPLOITATION MINIÈRE

Texte original: REMA

Photo: Otros Mundos Chiapas