HomeBaladodiffusionLa société civile canadienne demande au gouvernement de Justin Trudeau de se prononcer sur les violations des droits humains en Colombie

La société civile canadienne demande au gouvernement de Justin Trudeau de se prononcer sur les violations des droits humains en Colombie

Description : Des marches, des sit-in, des veillées, des lettres ouvertes et des communiqués. À partir des différents endroits au Canada, les initiatives se multiplient en solidarité avec le peuple colombien qui, depuis le 28 avril, est descendu dans les rues pour exiger des changements structurels dans la société.

Nouvelle : Au Canada, diverses organisations et réseaux de défense des droits humains, des syndicats, des chercheurs et chercheuses, ainsi que des civiles, ont exprimé leur solidarité avec la situation de violence d’État en Colombie. Par le biais de communiqués, de lettres ouvertes, de marches, de sit-in, de vigiles et de nombreuses autres activités, les différents groupes demandent au gouvernement canadien d’utiliser ses bonnes relations politiques et commerciales avec le président Iván Duque pour faire pression en faveur de la fin de la répression brutale des manifestations.

Selon l’Institut d’études pour le développement et la paix, Indepaz, 48 homicides ont été signalés le 14 mai. Pour sa part, l’organisation Justapaz a signalé 16 actes de violence sexuelle, 133 personnes blessées par arme à feu, 548 victimes de disparitions forcées et plus de mille cas de détentions arbitraires le 9 mai. Tous ces chiffres sont liés à plus de 2 000 cas d’abus commis par les forces policières. 

L’ambassadeur du Canada en Colombie a déploré la gravité de la situation le 4 mai, une semaine après le début des manifestations. Il a affirmé que le Canada défend le droit aux rassemblements pacifiques et a déclaré être inquiet de l’usage excessif de la force contre les manifestations.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, Marc Garneau, quant à lui, s’est exprimé le dimanche 9 mai. À cet égard, il a déclaré que « le Canada condamne la violence, y compris l’usage disproportionnée de la force par les forces de sécurité, et demande instamment que la violence cesse. Les droits de réunion et d’association pacifiques sont les fondements de la démocratie et doivent être promus et protégés à tout moment. » 

Cependant, pour les organisations de la société civile canadienne, ces prises de position des autorités canadiennes n’ont pas été assez fermes face à la gravité de la violence étatique exercée par les forces de l’ordre colombiennes. Qui plus est, elles ne font que démontrer les contradictions inhérentes à la politique internationale du gouvernement canadien.

C’est ce qu’explique Raul Burbano, coordinateur du Réseau canadien Common Frontiers :

Le Canada a la responsabilité de condamner avec force la violence de l’État colombien, mais il ne l’a pas fait. Ce que le gouvernement canadien a fait, c’est publier un mièvre communiqué, car en réalité il blâme toutes les parties. Bien que, dans le communiqué, le gouvernement canadien reconnaît et rejette clairement la violence de l’État colombien, il se montre également préoccupé par les actes de vandalisme, soit les attaques contre la police. En tant que société civile, nous devons rejeter cette fausse dichotomie car elle donne une légitimité et une justification à la répression étatique. Ce discours n’est emprunté par le gouvernement canadien que lorsque ses alliés sont politiquement et économiquement impliqués dans de graves violations des droits humains. Nous voyons clairement sa politique sélective dans des cas comme le Venezuela, par exemple. En effet, dans ce cas-ci, le gouvernement canadien ne se dit jamais préoccupé par les manifestant.e.s vénézuélien.ne.s qui attaquent la police ou qui commettent des actes de vandalisme, car cela est très médiatisé. Le gouvernement canadien manifeste sa préoccupation uniquement à l’égard des violences commises par l’État vénézuélien. Au nom du Réseau canadien Common Frontiers et de Colombia Working Group, nous condamnons ce double standard, en même temps que nous rejetons la déclaration du gouvernement canadien. Nous continuerons à exiger que le gouvernement canadien se prononce en faveur de la démocratie, en faveur des droits humains ainsi qu’en faveur du droit du peuple colombien à manifester pacifiquement sans aucune forme de répression étatique.

Cette année marque le dixième anniversaire de l’accord de libre-échange Canada-Colombie. Au cours de cette période, le Canada a accumulé d’énormes avantages économiques. Comme le souligne Luis Matta, membre de l’Alliance d’action solidaire avec la Colombie, CASA, de nombreuses entreprises canadiennes sont impliquées dans les conflits en territoire colombien.

Les sociétés minières et extractivistes canadiennes engendrent des problèmes en Amérique latine depuis les années 1980. Bref point historique, à la fin des années 1980, le Canada a investi dans plusieurs pays d’Amérique latine. À titre d’exemple, l’État canadien a contribué au financement de la réforme et à la modernisation du code minier en Colombie. Nous avons découvert qu’il s’agissait d’un investissement flagrant à long terme, un investissement éhonté, je dirais. L’intervention canadienne a alors permis d’adapter les politiques internes et de faciliter énormément l’entrée de ces sociétés dans le territoire colombien, et ce avec peu de surveillance et d’intervention de l’État colombien. Les sociétés impliquées sont des compagnies minières et extractivistes internationales basées au Canada. Dans les années 1990, des secteurs canadiens et colombiens très puissants ont fait du lobbying pour ces compagnies avec l’objectif de promouvoir la signature de l’accord de libre-échange. Il s’agissait de propriétaires terriens ayant un grand pouvoir politique en Colombie, ainsi que des hommes d’affaires ayant des intérêts dans des sociétés minières canadiennes qui ont participé aux efforts de lobbying. Cela a en quelque sorte facilité l’accès des sociétés financières et minières dans notre pays, sous prétexte de l’échange de biens. Les échanges se sont produits d’une manière certainement très inégale, surtout si nous prenons en compte le niveau de développement de notre pays pour s’adapter au niveau d’échanges commerciaux et économiques du Canada. Après ce lobbying et après ces accords internationaux, des entreprises aux noms en apparence très inoffensifs comme la Colombian Gold File, la Nexten Resources, entre autres, sont entrées dans les régions du sud de Bolivar, dans les départements de Caldas et d’Antioquia, et à Marmato, par exemple. Les noms de ces compagnies paraissent jolis pour nous cacher la réalité de la Colombie. Elles sont entrées dans les régions de Tolima, principalement dans le sud du Bolivar. Si nous faisons une analyse historique de ce qui s’est passé dans ces régions avant l’arrivée de ces sociétés minières, il y a eu un déplacement forcé systématique des peuples de ces régions par la violence. Parfois, ces régions étaient repeuplées par de personnes liées aux secteurs narco-paramilitaires de l’ultra-droite. Cette appropriation flagrante du territoire et ce déplacement forcé des populations a placé la Colombie dans la liste des pays ayant le plus grand nombre de déplacements forcés au monde, avec le Soudan. En effet, la Colombie compte plus de 7 millions de personnes déplacées. Ces personnes, après d’énormes actes de violence (massacres, assassinats et disparitions), ont été contraintes de quitter le territoire. Cela a un lien direct avec l’arrivée des compagnies minières d’Afrique du Sud, des États-Unis et du Canada au fil du temps. Ces compagnies, qui réussissent à s’installer avec une facilité impressionnante car tout est adapté, ne reçoivent quasiment aucune opposition dans ces territoires pour développer leurs projets miniers. Cela s’explique car les communautés autochtones passées et présentes ne sont pas consultées.

C’est l’Assemblée nationale du Québec qui a adopté la position la plus ferme en rejetant la violence d’État en Colombie. Le 6 mai, une motion a été adoptée à l’unanimité exprimant la solidarité avec les plus de 25 000 Québécois d’origine colombienne vivant de moments d’angoisse et souhaitant une résolution pacifique de la crise. Ils demandent une résolution de la crise axée sur le dialogue mutuel et le respect des droits humains. Enfin, l’Assemblée nationale du Québec a observé une minute de silence en mémoire des victimes. 

Pour l’instant, le Premier ministre canadien Justin Trudeau n’a pas condamné le gouvernement d’Ivan Duque. Qui plus est, il n’a pas encore émis de déclaration pour faire pression sur le gouvernement colombien afin que ce dernier cesse les violences étatiques.

Dans une déclaration adressée au ministre canadien des Affaires étrangères, le Réseau mondial des peuples ethniques et de la paix (Red Global de Pueblos Étnicos y Paz) a également demandé au gouvernement canadien de dénoncer publiquement l’extrême violence et les violations des droits humains en Colombie, en particulier contre les groupes ethniques, touchés de manière disproportionnée au lendemain des Accords de paix signés en 2016.

Le Réseau est une initiative de recherche et de plaidoyer communautaire et universitaire établie en 2020 pour soutenir le travail local dans la consolidation de la paix et des droits humains en Colombie. Le Réseau comprend des représentants de plus de 20 universités et organisations de la société civile canadienne, colombienne et internationale.

Pour Sheila Gruner, professeure de Science politique à l’Université de Carleton (Ottawa) et à l’Universidad Javeriana (Bogota), l’absence de mise en œuvre des Accords de paix constitue, entre autres, le facteur déclenchant des mobilisations.

Nous voyons aujourd’hui la grève, les violences étatiques contre la mobilisation pacifique, dans un contexte où il y a eu des meurtres, des disparitions, et des incidents de violence sexuelle commis par la police contre les manifestations pacifiques. Mais nous voulons également attirer l’attention sur le fait que la grève ne s’inscrit pas dans un mouvement ponctuel, mais qu’il existe un contexte plus large affectant les communautés autochtones et afro-descendantes. Ces communautés sont exposées à de nombreux risques, comme celui du confinement, du déplacement, d’assassinat des leaders et de rupture du tissu social dans leurs communautés en raison de la présence d’acteurs armés (ces derniers liés à l’économie légale et illégale). En effet, c’est surtout au sud que l’on voit des mines légales et illégales ainsi que l’économie de l’usage illicite qui est de caractère globale. Nous voulons lancer un appel très fort à la communauté internationale pour qu’elle prête attention au vécu des communautés autochtones et afro-descendantes, en lien avec ce qui arrive dans le cadre de la grève nationale. Il s’agit d’un effort soutenu ne se concentrant pas uniquement sur le suivi des événements récents, mais sur le contexte plus large que connaît le pays. Nous voulons lancer un appel au gouvernement du Canada, qui entretient des relations commerciales avec la Colombie par le biais d’un accord de libre-échange, dans des endroits qui coïncident souvent avec des endroits où il y a des violations des droits humains, avec ou sans relation directe, qu’il est de la responsabilité du gouvernement du Canada d’adopter une position forte et de se prononcer face à la violence qui se produit en Colombie en ce moment. Nous exigeons la mise en œuvre du chapitre ethnique ainsi que le respect des propositions des communautés pour un accord humanitaire dans les situations où il y a risque de déplacement.

Pour les organisations en Colombie, la population est en train de subir un changement de paradigme. Ainsi, pour Diana Jembuel, communicatrice communautaire du peuple autochtone Misak situé dans le département du Cauca, les communautés de tout le pays ont pris conscience de la situation, ce qui se traduit par des mobilisations qui auront durée bientôt vingt jours.

La grève nationale a pris de l’ampleur depuis le 28 avril, rassemblant plus de 115 peuples autochtones, ainsi que des paysans afro-descendants et autochtones. Les peuples autochtones se joignent à la grève nationale,  non seulement pour montrer leur rejet de la réforme fiscale, mais aussi pour montrer leur opposition à la réforme de la santé. L’un des problèmes majeurs affectant nos communautés est le retour de la pulvérisation aérienne de glyphosate sur les territoires où elle affecte les cultures alimentaires, contamine les sources d’eau ainsi que les personnes habitant dans les divers territoires. De plus, il y a l’assassinat systématique de leaders sociaux, dont 34% des leaders assassinés en Colombie sont des autochtones. Pour cette raison, nous dénonçons le harcèlement des acteurs armés et nous luttons pour la vie de nos peuples. Le gouvernement national ne respecte pas les accords signés et met en danger la sécurité juridique de nos territoires. En outre, comme nous l’avons vu dans les différents médias, il y a aussi des violences machistes; des agressions sexuelles et la brutalité policière que nous ne pouvons pas négliger. Nous ne pouvons pas négliger les abus, les violations des droits humains et les actions scandaleuses contre les corps de nos femmes. Nous contestons la violation du droit fondamental à la consultation préalable, libre et informée, car la réelle participation des peuples autochtones est ignorée et non garantie. Il y a une autre raison pour laquelle nous rejoignons cette grève nationale : la criminalisation de la protestation, la censure et le manque d’accès à l’information. Les médias de masse et les partisans du gouvernement ont délibérément trompé le public avec de fausses accusations. En outre, nous avons grandi dans un scénario de conflit armé. Ce que nous voulons, c’est que les nouvelles générations qui viennent après nous ne vivent pas ce scénario et que l’accord de paix signé entre les FARC et le gouvernement colombien soit respecté.

Écoutez la nouvelle audio Colombie : exiger que le gouvernement du Canada se prononce sur les violations des droits humains du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)

Source photo : Gouvernement du Canada