Proyecto Mirador, Ecuador

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Dernière mise à jour : 21 septembre 2010

Le projet Mirador, mené à bien par l’entreprise canadienne Corriente Resources à travers sa filiale équatorienne Ecuacorriente, situé au Sud de l’Equateur est l’un des nombreux projets de mine à ciel ouvert mené en Amérique Latine dont les conséquences sociales et environnementales sont souvent dévastatrices. Cette étude de cas vise à exposer l’historique de ce projet, le conflit social qu’il occasionne avec les communautés locales opposées à ce projet et la division au sein de ces communautés qui en résulte.

1. Localisation

Le projet est situé dans la Cordilliera del Condór, au Sud-Est de l’État équatorien, et chevauche les provinces de Morona Santiago et Zamora Chinchipe (voir la carte ci-dessous). Il se situe dans une zone protégée de l’Amazonie et fait partie du Parc Binational (Pérou-Équateur) del Condór. Cette région particulièrement riche en biodiversité à l’échelle mondiale est aussi une zone importante de régulation du cycle hydraulique1 et fait partie du territoire ancestral des peuples Shuar en Équateur. Le projet se situe sur des terres appartenant à la nation autochtone Shuar ainsi qu’à des communautés « métisses » paysannes, et il fait partie des conflits miniers les plus violents du pays.

Carte administrative de l’Equateur : division en provinces
Source : http://geografia.laguia2000.com/geografia-regional/america/geografia-ecuador-generalidades

2. Projet

Mirador  est un projet minier à ciel ouvert d’extraction de cuivre et d’or à grande échelle. La compagnie minière canadienne Corriente Resources a obtenu les concessions pour le projet Mirador en 2000.  Le site contient des réserves de cuivre proches de la surface, c’est pour cette raison que l’exploitation est faite à ciel ouvert.

L’entreprise Corriente Ressources prévoit d’extraire, via sa filiale équatorienne, Ecuacorriente SA. (ECSA), 11 millions de livres de cuivre, ce qui implique un investissement de 200 000 millions de dollars américains.  Le projet Mirador est le premier d’une longue série prévue pour la Cordilliera del Cóndor par la même compagnie Ecuacorriente. C’est en 2005 qu’Ecuacorriente annonçait que sont projet Mirador serait le plus important du pays.

Le volume d’exploitation estimé est d’une capacité initiale d’extraction de 27 000 tonnes par jour. La production de concentré de cuivre est estimée à 512 tonnes par jour, qui seront transportées par 16 camions jusqu’au port d’exportation Bolívar. L’exploitation de la mine est prévue pour environ 19 ans (estimation faite en fonction des ressources actuelles) .

Infrastructures de la mine2

Dimensions des Infrastructures Superficie (en Hectare)
Ravin à ciel ouvert (Phase Finale) 108,0
1ere Décharge (Immédiatement à l’ouest du ravin à ciel ouvert) 75,0
2e Décharge (à l’Est du ravin) 47,9
Dépôt de déchets (Secteur de San Marcos- Quimi) 56,6
Dépôt de Déchets (Secteur de Santa Cruz) 312,0
Usine de traitement (au nord du ravin à ciel ouvert) 20,0
Campement du Personnel (à l’Ouest de l’usine) 4,3
Voies d’accès et ponts sur les fleuves Zamora et Tundayme 17,6
TOTAL 641,4

Source: http://www.ecuacorriente.com/deplegarItem.do?itemid=167 [consulté pour la dernière fois en août 2010]

 L’Assemblée Constituante a émit le 18 avril 2008 le Mandat 6,  qui a permit de suspendre les activités des concessions minières jusqu’à l’adoption de la nouvelle constitution et de la nouvelle Loi Minière du pays. Ecsa-Ecuacorriente avec son projet Mirador, ainsi que deux autres compagnies minières, ont obtenu l’autorisation de recommencer leurs activités à grande échelle à la fin de l’année 2009. La compagnie a repris ses travaux d’exploration et est sur le point de les terminer3.

3. Acteurs principaux

 3.1 Compagnie minière

 La compagnie canadienne Corriente Resources a obtenu les concessions du projet Mirador en 2000. Peu après, elle a fondé une compagnie filiale pour gérer le projet localement, appelée Ecuacorriente S.A. (ECSA). La compagnie est présente dans la région depuis 2000, a obtenu certaines concessions sans la consultation préalable des propriétaires et des communautés autochtones et a parfois employé la force, le chantage ou le mensonge pour obtenir ces terrains4.

3.2 Peuple Shuar et communautés paysannes

Au total, le peuple Shuar compte 110 000 individus et leur territoire couvre environ un million d’hectares dans les provinces de Napo, Pastaza, Morona, Santiago, Zamora Chinchipe et Sucumbíos. Il y a différents types d’organisation Shuar :

  • La Fédération Interprovinciale des Centres Shuars (FISCH) qui est la plus importante organisation regroupant 490 centres (centres ou villages).
  • La Fédération du Peuple Shuar Equatorien (FIPSE) représentant environ 7 000 Shuars dont le territoire traditionnel couvre 184 000 hectares et représente 47 centres.
  • L’Organisation Shuar d’Equateur (OSHE) qui regroupe 40 centres
  • La Fédération Shuar de Zamora Chinchipe (FSZCH) qui regroupe 18 centres.

La Cordilliera del Cóndor fait partie du territoire ancestral des Shuars5.

 Il existe une constellation de petites organisations qui ont participé à la mobilisation contre le projet minier, comme la Coordination Paysanne Populaire de Morona Santiago, ou d’autres qui se sont créées spécifiquement pour la lutte contre la mine, comme La Coordination pour la Vie et la Souverainneté de Gualaquiza. Les organisations Shuars ont leurs propres organisations et mènent parfois leurs propres actions sur des fronts distincts, ce qui n’empêche pas une action coordonnée dans la lutte contre le projet Mirador.

Ce tableau résume les positions (en faveur ou contre le projet minier) des principaux acteurs du conflit social autour du projet minier Mirador.

Tableau 1: Les acteurs et leurs positions à propos du conflit minier dans les provinces de Morona Santiago (MS) et Zamora Chinchipe (ZC)

Acteurs

Intérêts Position Générale Localisation Arguments Principaux
Compagnies Minières :

Corriente Resources, Canada

Kinross, Canada. Elle a pris possession de la compagnie australienneAurelian Lowell, une compagnie dirigée par un géologue

Cuivre

Or

Ils soutiennent que l’activité minière contribue au développement local et national, et qu’elle ne génère pas d’impact négatif grâce à l’utilisation de technologies de pointe Ils soutiennent que l’activité minière contribue au développement local et national, et qu’elle ne génère pas d’impact négatif grâce à l’utilisation de technologies de pointe.

Corriente Resources possède des concessions dans 3 cantons de la province de MS et dans un canton de la province de ZC.

Kinross possède des concessions dans le canton de Yantzatza à ZC.

Lowell possède des concessions dans la région occupée par la communauté Warintz.

Raisons économiques :
Actionnaires, paiemment d’impôts et de redevances (impôt reversé à l’Etat pour l’exploitation de ses ressources naturelles) au gouvernement, une génération d’emploi et de revenu.
Peuple autochtone Shuar Défense de leur territoire, légalisation de la propriété terrienne, protection des chutes d’eau, défense du « penker pujustín » ou « vivre bien ». Shuars : la majorité du groupe ethnique et deux principales fédérations, la FICSH (Fédération Interprovinciale des centres Shuars) et la FIPSE (Fédération Indépendante du Peuple Shuar d’Equateur) sont opposés aux mines et alliés dans la résistance. Shuars: à MS et ZC : dans des centres de population ou des zones inaccessibles dans la chaîne de montagne autrement que à pied ou par avion. Défense de l’agriculture.
Peuple autochtone Saraguro Kishwa Défense de leurs terres et de leurs activités économiques (ils sont agriculteurs). Saraguro : renforcer les plateformes shuars, des groupes métisses, et de Saraguro ;

Soutenir l’initiative proposée par le préfet de Zomora de déclarer cette région comme le poumon vert amazonien et donc empêcher les projets miniers.

Saraguro : dans les provinces de Loja et ZC où ils ont migré depuis Loja.

Sacralité des chutes d’eau.

Droits territoriaux des autochtones.

Paysans métisses opposés aux mines Préservation de leurs terres et de leurs activités de production agricole. Alliés au peuple Shuar et aux résistants anti-mines. Centres de population à MS et ZC avec des routes d’accès.

Corriente Resources est basée dans les cantons de Pananza, San Juan, Bosco et Gualaquiza à MS et emploie 100 travailleurs sur le site Mirador à ZC.

Kinross est installée dans le canton de Yanzatza à ZC.

Défense de l’agriculture.
Paysans métisses en faveur des mines Membres de communautés qui travaillent pour la compagnie, leurs familles ou leurs écoles Ils défendent leur emploi, même s’ils ont des problèmes avec leurs employeurs (les compagnies) ;

Des écoles ont reçu des bourses ;

Ils veulent recevoir plus d’argent.

Défense de l’emploi dans l’industrie minière, dons/primes de la compagnie.
Autorités locales (préfets, maires, conseillers municipaux) opposées aux mines. Promouvoir des politiques locales qui permettent la continuation de l’extraction minière  mais de facon artisanale,

Répondre aux besoins de la population (beaucoup sont des autochtones),

Projets de développement local.

Construire une position régionale Amazonienne sur la question du pétrole et des mines,

Plan de développement du gouvernement formulé par SENPLADES (Secrétariat National pour la Planification et le Développement).

A MS, le mouvement autochtone a gagné les élections dans 8 cantons sur 12, tout comme la préfecture provinciale, alors que le parti au pouvoir n’en a gagné que 2. Développement régional à travers des alternatives aux mines.
Autorités locales (préfets, maires, conseillers municipaux) en faveur des mines. Recevoir des ressources financières pour des projets locaux,

Exécuter des plans avec le soutien des compagnies minières,

Obtenir le soutien financier des compagnies pour les prochaines élections.

Ils se réfèrent au besoin de ressources pour le développement local et soutiennent la « révolution des citoyens » et le développement des mines promu par le gouvernement national. Dans ZC le mouvement autochtone a gagné les élections dans 2 cantons sur 9 et la préfecture provinciale, alors que le parti au pouvoir n’a gagné qu’un canton. Ressources financières apportée par l’industrie minière qui contribuent à des projets locaux de développement.

Traduction libre de l’auteure et modifications (de nombreux autres acteurs sont énumérés dans le tableau original) apportée par l’auteure. Pour le tableau original veuillez vous référer à la source. Source : Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica Ecuador, « The mining enclave of the Cordillera del Cóndor”, mars 2010, p.18-19.

4. Impacts du projet

4.1 Impacts environnementaux

Une étude réalisée en mars 2010 par l’association Acción Ecológica fait le point sur la situation des projets dans la Cordilliera del Cóndor. Ce rapport a été réalisé pour le projet CEECEC (Civil Society Engagement with Ecological Economics) de la Commission Européenne dont l’objectif est d’augmenter l’interaction entre les académiciens et les organisations sociales. Ce rapport consacre une partie de son analyse aux impacts environnementaux des projets miniers, ces impacts constituant l’une des préoccupations des populations locales : les mines à ciel ouvert utilisent des produits toxiques, comme le cyanure, pour extraire les minerais. Ces produits s’infiltrent ensuite dans les nappes phréatiques, notamment dans cette région où les précipitations sont très importantes, risquant de contaminer les fleuves et rivières, et à terme,la qualité de l’eau est irrémédiablement affectée. Quant à la quantité d’eau, elle constitue également un problème pour l’agriculture traditionnelle de ces populations, étant donné que la mine nécessite des quantités d’eau colossales. Enfin, de par l’utilisation de substances toxiques et à cause du risque d’infiltration, les sols seraient affectés de manière irréversible ; le paysage serait endommagé, il en va de même pour les écosystèmes et la biodiversité de la région qui seraient durablement affectés.

Selon le rapport d’Acción Ecológica, « […] En se basant sur des cas similaires, il y a un vaste champ de données qui démontrent la gravité des impacts [environnementaux]. […] Dans des conditions pareilles, il est vraiment peu probable que n’importe quel autre type d’activité puisse se développer dans la région dans le futur. La totalité de la municipalité de Tundayme et la Cordilliera del Cóndor se transformeront en une zone industrielle minière ».

 4.2 Impacts socio-économiques

Selon le rapport de mars 2010 d’Acción Ecológica, “le peuple Shuar, chasseur-cueilleur, a été transformé en salariés travaillant 22 jours par mois, ayant 8 jours de congés et un salaire de 100 dollars américains par mois. […] L’activité minière a généré des impacts économiques, sociaux et culturels tout comme des dommages environnementaux. La présence de travailleurs métisses non originaire de la communauté, la rupture de l’activité traditionnelle des hommes Shuars dans la communauté […], le salaire payé en dollars, le temps passé loin de leurs familles, et l’obligation de respecter un horaire de travail au sein de la compagnie minière a inévitablement amené à des conflits au sein des familles, entre les familles dans les centres Shuars, entre les centres qui composent l’Association, avec les leaders de l’Association, et entre l’Association et les autorités provinciales »6.

« La mine à ciel ouvert de la Cordilliera del Cóndor est un exemple d’enclave d’un modèle économique dans lequel une entreprise étrangère s’installe, occupe une zone, extraie le plus possible, détruit la zone et part. Qui paiera les dettes environnementales et sociales qui en résultent ? Qui sera responsable des handicaps socio-environnementaux ? Des activités comme celle-là ne laissent derrière elles ni le développement, ni la technologie, ni une chaîne de production durable. Elle s’établie temporairement pour la durée du projet et contribue principalement à créer une dépendance sur le marché international. Quand les minerais s’épuiseront, après à peine 18 ans, l’affaire est close. Tout ce qui reste ce sont les déchets, la contamination et la population locale avec des problèmes de santé. Le déplacement de la population est causé par l’installation de projets miniers, la perte des sources locales de nourriture qui en résulte ou lorsque le projet minier arrive à sa fin et les populations qui s’installent dans la région où elles travaillent se retrouvent soudainement sans emploi. La déstructuration sociale est causée par l’arrivée inévitable de l’alcool et des drogues, de la prostitution et d’autres agents externes qui tendent à altérer de manière permanente les relations sociales qui existaient avant le projet. »7.

5. Historique de la contestation et organisation du mouvement anti-mine

5.1 Début de la contestation/ Prise de conscience des conséquences de la présence de la compagnie minière

Les habitants se sont rendu compte au fur et à mesure des impacts négatifs que le projet minier Mirador pourrait avoir sur le long terme dans la région. Dans les provinces de Morona Santiago et Zamora Chinchipe la préoccupation des populations locales à propos des impacts environnementaux et sociaux des activités minières s’est faite de plus en plus vive. Les communautés locales, les organisations, dans le cadre de forums, de débats publics, d’ateliers et de comités interprovinciaux, ont exprimé leur refus des projets miniers. Après des échanges avec les communautés d’Intag, Molleturo, Pacto, Naves de Bolívar et d’autres en Equateur qui vivent dans le conflit constant à cause des mines, l’opposition aux activités minières s’est consolidée 8.

Le 6 novembre 2006 une grève à durée indéterminée a commencé dans la province de Morona Santiago. Les autorités ont répondu par la militarisation de Rosa de Oro et San Carlos, où il y avait deux autres campements miniers dirigés par Corriente Resources. La compagnie, tentant de perturber l’Assemblée Provinciale, a soutenu une contre-manifestation dont les participants ont été physiquement attaqués dans l’assemblée. Le résultat a été un affrontement violent dans lequel la police est intervenue avec des bombes lacrymogènes. Plusieurs jours plus tard, un groupe de 200 personnes s’est  rendu sur le site du projet Mirador où des pierres leur ont été jetées par des partisans de la compagnie. En début de matinée, alors qu’ils marchaient sur l’autoroute, ils ont été attaqué par un groupe d’environ 40 hommes cagoulés qui ont lancé de la dynamite et leur ont tiré dessus. Plus de 15 personnes ont été blessées9.

Le conflit avec la compagnie a commencé le 9 novembre 2006 lorsque cette marche jusqu’au campement de la mine a été violemment réprimée par le service de sécurité de la mine et par l’armée.

Alors que la résistance s’intensifiait dans les communautés locales, elles ont appris le développement de projets hydroélectriques dont l’objectif était d’alimenter en énergie les compagnies minières. À la mi-janvier 2006, l’entreprise hydroélectrique Hidroabanico a commencé la première phase des opérations. À cause de problèmes opérationnels et de la présence illégale sur les concessions où elle opérait, l’accord entre Hidroabanico et Corriente Resources a été rendu public. Une grève a commencé à Jimbitono le 30 août 2006 en opposition aux projets miniers et hydroélectriques. Elle a durée 75 jours et la région est devenue l’épicentre de la protestation des populations des deux provinces amazoniennes10.

Le 12 novembre 2006, les opposants au projet minier des provinces de Morona Santiago et Zamora Chinchipe ont rencontré les représentants du gouvernement à Jimbitono. Dans le cadre d’une assemblée publique dans le théâtre municipal, un accord a été signé, qui ordonnait la suspension immédiate et définitive de la seconde phase du projet d’Hidroabanico et l’installation des lignes d’alimentation électrique des compagnies minières. L’accord avait aussi prévu la suspension des opérations minières de Corriente Resources à Zomora Chinchipe, et il devait initier le processus visant à faire de la province de Morona Santiago une zone écologique et de tourisme. Il a également été décidé que le gouvernement national ne prendrait pas de mesures de représailles contre les participants à la grève.

Par l’accord signé le 12 novembre, le gouvernement équatorien, représenté par le ministre du Travail et de l’Emploi, s’est engagé à paralyser les activités des entreprises Ecuacorriente et Hidroabanico. Cependant, l’accord n’a pas empêché l’entreprise de poursuivre son projet.

Le 1er décembre 2006, l’Assemblée Bi-Provinciale tenue à Pangui, à laquelle ont assisté près de mille personnes des communautés des provinces de Morona Santiago et Zamora Chinchipe, a décidé que les participants se rendraient jusqu’aux installations d’Ecuacorriente pour demander à la compagnie – à travers les plus hauts représentants des deux provinces – de remplir les termes de l’accord signé le 12 novembre11.

Voyant que ni l’accord ni les efforts des autorités locales pour demander au gouvernement central une sortie légale du conflit n’ont donné de résultats, les comités, associations et citoyens s’opposant au projet se sont mobilisés à nouveau dans le cadre d’une marche pacifique jusqu’à Tundayme. Les manifestants se sont dirigés jusqu’au campement de la compagnie minière mais les forces de sécurité de l’entreprise et des effectifs de l’armée équatorienne présents dans la région ont bloqué la route et le pont piéton du fleuve Zamora avec des barbelés et ont lancé des bombes lacrymogènes sur les femmes, les hommes et les enfants présents.

Dans son article du 20 septembre 2007, la journaliste Laura Lopez énonce les faits suivants : « Les jours suivants, les manifestants ont réussi à atteindre le campement militaire à Tundayme se trouvant près des installations de la compagnie, la répression s’est alors intensifiée. Rodrigo Aucay, président du Comité pour la Défense de la Santé, de la Nature et de la Vie dans le Canton El Pangui (CDSNV-CP) qui était présent pendant la mobilisation ce jour là raconte : ‘A Tundayme, ils ont fait ce qui est connu par le monde entier, ils ont séquestré 19 personnes, […] dont le député Salvador Quishpe, les femmes ont été amené au campement d’Ecuacorriente pour des enquêtes, ils ont essayé de violer l’une d’elles. De plus d’autres personnes ont été blessées par des coups, des pierres ou par balle’. »12

En octobre 2006, le Forum Public International sur « Le vrai visage de l’extraction minière » s’est tenu à Pangui. Plus de 500 personnes y ont assisté, dont des membres des communautés autochtones Shuar et Saraguro Kichwa, des paysans, des représentants des autorités locales, des journalistes et des délégués d’organisations internationales impliqués dans les conflits liés aux mines au Pérou, en Bolivie, au Chili et en Argentine. Peu après cet événement, Ecuacorriente a lancé une campagne médiatique agressive et diffamatoire contre un certain nombre d’organisations locales.

5.2 L’administration Correa et le projet Mirador

Le Président Rafael Correa a pris ses fonctions début 2007. L’année qui a suivi a été marquée par le processus d’élaboration d’un brouillon d’une nouvelle constitution et par la mobilisation constante des différentes communautés, organisations et autorités devant les bureaux de l’Assemblée Constituante à Montecristi. L’un des objectifs recherché était la déclaration de l’Equateur comme une zone sans mines. Il faut noter également que l’un des problèmes qui a provoqué le plus de conflits à l’intérieur du parti au pouvoir dans l’Assemblée Constituante a été la question de l’extraction minière.

Le 18 avril 2008, l’Assemblée Nationale Constituante a émis le “Mandat Minier”. Étant donné les nombreuses irrégularités commises sur les concessions minières en Équateur, le mandat révoquait les contrats de concessions dans tous les cas où les propriétaires des concessions n’avaient pas investi depuis le 31 décembre 2007 ou qui n’avaient pas présenté leur  étude d’impact environnemental avant le délai établi. Le mandat abolissait également toutes les concessions de projets situés dans des zones naturelles protégées, des zones forestières ou tampon ou des opérations d’extraction qui menaçaient les ressources hydrauliques. Le mandat a également déclaré un moratoire sur toutes les activités minières du pays jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi minière13.

Le rapport d’Acción Ecológica souligne cependant qu’au lieu d’appliquer le mandat, le Ministère des Mines et du Pétrole (aujourd’hui le Ministère des Ressources Naturelles Non-Renouvelables), a utilisé l’Accord Ministériel n°172,42 qui établit des « critères d’impact » basé sur des taux de pollution de l’eau. Des mesures seraient prises seulement dans les cas où un impact sur la qualité de l’eau serait prouvé à travers des tests. De cette manière, le Ministère a empêché la révocation de centaines de concessions.

La Loi Minière de 2009 a ravivé la contestation des communautés contre les projets miniers. Le début de l’année 2009 a été marqué par des mobilisations de grande ampleur d’agriculteurs et des communautés autochtones principalement dans la région Sud du pays. Dans les provinces d’Azuay, Morona Santiago, Zamora Chinchipe et Loja, des barrages routiers, des marches et des grèves de la faim ont été organisés pour protester contre l’entrée en vigueur imminente du nouveau brouillon de la Loi Minière.

Les communautés affectées par les projets miniers au Sud de l’Equateur ont évoqué le besoin d’une loi minière qui puisse résoudre les conflits et les impacts des opérations minières en cours dans le pays. Cependant, la nouvelle Assemblée Législative a approuvé une loi minière d’un tout autre type le 13 janvier 2009. L’orientation de la loi a été la promotion de l’industrie minière comme la base de la production nationale à grande échelle. La loi autorise n’importe quelle personne à s’installer sur le territoire des communautés autochtones pour  explorer les réserves de minerais exploitables et pour utiliser les ressources en eau présente (Art 60, 61 et 79). Selon le rapport d’Acción Ecológica, la loi promeut essentiellement le développement national à travers le déplacement forcé des communautés autochtones et paysannes et la destruction des peuples, cultures et richesses naturelles en créant les conditions d’un conflit social croissant14.

L’opinion des communautés locales, des peuples et organisations paysannes et « indigènes » tout comme leurs droits ont été ignorés par les transnationales et le gouvernement, ce dernier désirant éviter le dialogue. Il en est de même pour la demande d’inconstitutionnalité de la Loi Minière de 2009 dont le mandat n’est pas respecté. C’est en ce sens que la protestation sociale dans le Sud du pays contre les actions des compagnies minières se réactive dès le début du mois de mars 2010.

La mobilisation du 3 mars 2010, qualifiée d’ « indigène », a rassemblé plus de 1 500 personnes qui se sont rendues à la Cour Constitutionnelle afin que la Loi Minière soit déclarée anticonstitutionnelle : autochtones, paysans, étudiants, écologistes, comités citoyens, dirigeants et représentants se sont regroupés dans les rues de Cuenca afin de réclamer leurs droits. Ils défendent l’eau, dénoncent la Loi sur l’Eau ainsi que l’exploitation minière effectuée aux environs des sources d’eau. Ils défendent la vie, la légitimité de l’accès à l’eau et dénoncent la destruction de la nature – la pachamama, la Terre Mère – causée par les industries minières.

Un des points qui cristallise le refus de la Loi Minière par les communautés locales est que cette loi déclare l’activité minière dans toutes ses phases comme étant d’utilité publique et ouvre la voie à l’expropriation de toutes les ressources qui sont nécessaire à son développement, principalement la terre et l’eau. De plus, le gouvernement a déclaré d’intérêt national le développement des mines dans le pays et donc toute la loi est faite pour donner des avantages aux entreprises minières, non seulement économiques mais aussi en pourvoyant une « sécurité judiciare » dont les compagnies minières ont besoin pour exploiter la terre.

C’est ainsi que plusieurs groupes de la société civile, paysans et citoyens, se coordonnent afin de défendre leurs droits et prendre des mesures concrètes afin de dénoncer les entreprises. Alors que la mobilisation continue, la violation des droits humains se perpétue également.

5.3 Répression et violation des droits humains

 Le 3 décembre 2006, alors que la population manifestait contre la compagnie minière et que la foule approchait du détachement militaire Gualaquiza Battalion 63, elle a été retenue plusieurs heures par des bombes lacrymogènes. Une série de violation des droits humains a été perpétré à ce moment, incluant la privation illégale du droit à la liberté, l’agression physique, la torture, l’agression sexuelle, la restriction de l’activité journalistique ainsi que l’intimidation. On peut donner l’exemple de quelques personnes dont les droits ont été bafoués ; ces cas sont cités dans une action urgente diffusée par l’association canadienne Mining Watch en décembre 200615 :

  • Maria Lucrencia Mankas a été détenue par des membres de l’armée équatorienne et ramenée dans le campement d’Ecuacorriente où ses bras et ses jambes ont été ligotés. Elle a été placée devant le soldat qui lui a touché la poitrine et ses parties intimes. Elle a été emmenée par un groupe de soldats qui ont reçu l’ordre de la violer. Un caporal est passé outre l’ordre et a empêcher le viol. Cependant elle a été ligotée et mise dans un sac avec du gaz. Elle a ensuite été  transférée au Commandement Militaire N-62 de Zamora dans un hélicoptère de la compagnie Ecuacorriente, puis elle a été emmenée au Poste de Police N-18 de Zamora, où elle s’est évanouie. Enfin, elle a été emmenée dans un centre de santé où elle est restée pendant deux jours.
  • Margarita Catalina Mendoza Samaniego a été attaquée par un membre de l’armée équatorienne, aspergée de gaz lacrymogène, battue avec un tuyau. Le capitaine Iban Cordoba a demandé une bombe lacrymogène sous forme de poudre et l’a frotté sur le visage de la victime. Plusieurs heures plus tard, les soldats ont continué la répression en la blessant avec des balles en caoutchouc. Après sa détention elle a été transférée au campement d’Ecuacorriente dans un camion appartenant à la compagnie. A l’intérieur du campement, le cuisinier de la compagnie l’a fouillée.
  • Ramiro Bravo, journaliste au journal The Hour et TV Cable, et Delfin Montoya ont été détenus et ont été forcés à rester sur leurs genoux. Leurs effets personnels, comme leur appareil photo et sa batterie de recharge leur ont été confisqués. Leurs mains et pieds ont été ligotés et ils ont été conduits jusqu’au campement de la compagnie. Ramiro s’est fait prendre ses papiers d’identité. Dans le campement ils ont été retenus dans un van. Plus tard ils ont été conduits à un détachement militaire et reconduits ensuite jusqu’au campement. Alors qu’ils étaient détenus, les soldats leurs ont empêché de se mettre debout. On les a obligé à rester assis et s’ils demandaient à pouvoir se mettre debout, ils étaient aspergés de gaz.
  • Le député Salvador Quishpe a été détenu par des soldats, ses mains et ses pieds ligotés et il a été amené jusqu’au campement d’Ecuacorriente. Il a regagné sa liberté plus tard via l’Habbeas Corpus. Ceux qui ont été témoins de sa détention dans le campement ont rapporté que les soldats avaient affirmé qu’il devrait être tué mais ils sont revenus sur leur position en disant que ce serait un gâchis de balle.

Plusieurs personnes affectées par ces événements ont affirmé que des membres de l’armée équatorienne qui avaient participé à la répression étaient accompagnés de civils qui leur donnaient des ordres. Pendant la détention, ils ont entendu l’ordre de tirer sur des personnes. Outre ces actes de répression, plusieurs membres de la communauté ont reçu des menaces contre leur vie et leur maison.

5.4 Criminalisation du mouvement

Peu après la première mobilisation de novembre 2006, plusieurs procédures judiciaires ont débuté contre un certain nombre de militants; l’armée accusait ces personnes d’avoir envahit le campement militaire avec un groupe armé et d’avoir tenté d’assassiner un conscrit. Ces procès ont été clos par une Amnistie générale accordée par l’Assemblée Constituante en 2008.

Actuellement, deux procès sont en cours, qui ont à voir avec la supposée invasion du campement de la mine en 2006 et du bâtiment où se trouvaient les bureaux de Corriente Resources à Gualaquiza en août 2008 . Les personnes impliquées dans ces dossiers n’ont pas bénéficié de l’amnistie, certaines étant accusées de terrorisme.

6. Conclusion

Les deux provinces de Morona Santiago et de Zamora Chinchipe ont connu une escalade de la violence et de la répression par la police et l’armée. Des centaines de paysans et peuples autochtones, parmi lesquels se trouvait un certain nombre de femmes, ont été blessés et/ou emprisonnés, alors que d’autres ont été menacés par des mandats d’arrestation.

Le gouvernement équatorien promeut un modèle de développement dans ces régions basé sur l’octroi de concessions minières à des compagnies privée, chose qui est incompatible avec la conservation de la biodiversité, des forêts et des fleuves de la zone, ou avec les activités agricoles et touristiques. Ce paradoxe se retrouve dans l’Accord d’Intégration Frontalier sur le Développement et le Voisinage signé par l’Equateur et le Pérou en 1998 pour mettre fin à un conflit frontalier. L’accord met l’accent sur l’intérêt des deux pays d’exploiter les ressources minières de la zone frontalière par l’investissement privé, mais se propose de promouvoir la protection de la biodiversité, des forêts et des fleuves.

Au jour d’aujourd’hui, la compagnie minière Ecuacorriente a repris ses activités d’exploration et est en phase de les terminer pour entamer la phase d’exploitation du site.

Étant donné que le gouvernement est ouvertement en faveur de ces entreprises et que le cadre légal bénéficie aux projets miniers, les organisations des communautés locales se disent bien décidées à poursuivre la résistance : elle sont en train d’anayser différentes stratégies pour continuer la dénonciation de ces pratiques, dévoiler un conflit social violent et réaffirmer leur opposition ferme à un quelconque développement de mégaprojet minier dans la région.

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1. Ou cycle de l’eau

2. Traduction libre de l’auteure

3. Voir article publié dans El Comércio “La minería a gran escala avanza en Ecuador”, 25 janv. 2010, <a class=»ext» href=»http://ww1.elcomercio.com/noticiaEC.asp?id_noticia=330682&amp;id_seccion=6″>http://ww1.elcomercio.com/noticiaEC.asp?id_noticia=330682&amp;id_seccion=6</a>

4. Lopez, Laura “El lado obscuro de la minería canadiense”, 20 septembre 2007, <a class=»ext» href=»http://www.llacta.org/notic/2007/not0920c.htm»>http://www.llacta.org/notic/2007/not0920c.htm</a>

5. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica Ecuador, « The mining enclave of the Cordillera del Cóndor”, mars 2010, p.3-4

6. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p11

7. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p7

8. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p14

9. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p15

10. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p14

11. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p16

12. Lopez, Laura “El lado obscuro de la minería canadiense”, 20 septembre 2007,<a class=»ext» href=»http://www.llacta.org/notic/2007/not0920c.htm»> http://www.llacta.org/notic/2007/not0920c.htm</a>

13. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p16-17

14. Chicaiza, Gloria, Acción Ecológica « The mining enclave of the ‘Cordillera del Cóndor’ », mars 2010, p17.

15. <a class=»ext» href=»http://www.miningwatch.ca/en/urgent-action-support-civilian-population-zamora-chinchipe-ecuador»>http://www.miningwatch.ca/en/urgent-action-support-civilian-population-zamora-chinchipe-ecuador</a>