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Fleurs équitables: où en est-on?

COMMENT NE PAS FAIRE DE TORT AUX CAMPAGNES TRÈS LOUABLES POUR UN COMMERCE ÉQUITABLE DE CONFIANCE SANS TAIRE CES IMMENSES CONTRADICTIONS DANS L’INDUSTRIE DES FLEURS? TELLE EST DEVENUE LA QUESTION.

PAR SARAH CHARLAND-FAUCHER

Revue Caminando, vol. 28 2585 2013-08-16 00:00:00

COMMENT NE PAS FAIRE DE TORT AUX CAMPAGNES TRÈS LOUABLES POUR UN COMMERCE ÉQUITABLE DE CONFIANCE SANS TAIRE CES IMMENSES CONTRADICTIONS DANS L’INDUSTRIE DES FLEURS? TELLE EST DEVENUE LA QUESTION.

PAR SARAH CHARLAND-FAUCHER

Depuis 2006, le CDHAL mène campagne pour le respect des droits des travailleuses et travailleurs de l’industrie des fleurs d’exportation en Colombie. En appui à ses deux partenaires colombiens, l’organisme Cactus et le syndicat indépendant UNTRAFLORES, le CDHAL a mis en place différentes actions afin de faire connaître les violations vécues par les travailleuses et travailleurs auprès de la population québécoise. En sept ans de campagne, la question du commerce équitable des fleurs est revenue mainte fois à l’ordre du jour. Peut-on promouvoir auprès des citoyens et citoyennes, avides  d’actions concrètes positives, le commerce équitable des fleurs comme une alternative de consommation responsable? Nous avons fait le tour de la question à plusieurs reprises, consulté nos partenaires et des travailleuses et travailleurs des fleurs et la réponse malheureusement, reste la même pour le moment: non. Cela dit, comment ne pas faire de tort aux campagnes très louables pour un commerce équitable de confiance sans taire ses immenses contradictions dans l’industrie des fleurs? Telle est devenue la question. Pour commencer cette critique, il faut d’abord comprendre qu’il existe deux certifications équitables au Canada: celles adressées aux petites entreprises et coopératives et celles pour les moyennes et grandes entreprises (depuis 2006) dans les secteurs où il semble impossible que de petites entreprises puissent faire commerce. Tel est le cas des fleurs.

 Le commerce de l’équitable

Rappelons-nous que le commerce équitable, à la base, avait été pensé afin de permettre des échanges directs entre acheteurs du Nord et petits producteurs du Sud (souvent des coopératives). Il s’agissait d’ouvrir des portes du marché au Nord à des coopératives et petites entreprises en leur offrant un prix juste et stable dans une relation gagnant-gagnant qui réduit au maximum le nombre d’intermédiaires et où règne la transparence.

En Colombie, une vingtaine de grands groupes contrôle environ 70% du marché des fleurs qui s’élève à plus d’un milliard de dollars. Cette industrie exige des investissements importants, brevets sur les semences (parfois transgéniques et détenus principalement par les Pays-Bas, achat de nombreux pesticides et engrais chimiques, transport réfrigéré par camion et par avion, système d’irrigation très demandant en terme de quantité d’eau, etc. Le commerce équitable se ferait donc avec des entreprises, qui peuvent détenir 1%, 5%, voire 40% du marché et qui s’engagent à respecter les normes minimales du travail du pays (OIT), en plus de verser une prime équitable.

Dans le cas de la Colombie, cette prime n’est pas versée pour augmenter les salaires dérisoires qui ont préséance dans cette industrie milliardaire mais plutôt pour mettre en place des projets communautaires dont l’entreprise pourra ensuite se vanter. Il est important de noter que beaucoup de ces entreprises reçoivent des subventions de la part de l’État, des congés fiscaux et absorbent très peu (ou aucunement) des coûts reliés aux infrastructures municipales et ressources naturelles qu’elles utilisent, notamment l’eau. Il peut donc apparaître un peu ironique que la prime équitable serve à financer, par exemple, une bibliothèque pour les enfants, alors que l’entreprise ne paie pas les impôts qui permettraient aux élus locaux de mettre en place une bibliothèque publique.

D’autre part, l’assurance du respect de la liberté d’association est très difficile à contrôler dans le système de certification actuelle. Les entrevues avec les travailleurs et travailleuses lors des audits ne sont pas réalisés de façon anonyme et il est impossible pour eux de loger des plaintes confidentielles au cours de l’année. La très grande majorité des serres dans le monde ne comptent aucun syndicat indépendant.

En Colombie, deuxième exportateur de fleurs dans le monde, le secteur de la floriculture génère annuellement plus d’un milliard de dollars mais, n’a pas réussi, en 40 ans de croissance, à payer plus que le salaire minimum aux travailleurs lui ayant permis une telle prospérité. Les certifications sociales et écologiques présentes depuis 10 ans n’ont pas changé la donne en cette matière. Toutefois, il est vrai que la pression des consommateurs a eu un impact positif comme elle l’a eu dans plusieurs secteurs de l’économie afin de diminuer la quantité et la dangerosité de pesticides utilisés dans les cultures.

Au Kenya, Human Rights Watch affirme même que des serres ayant obtenu la certification équitable achetaient des fleurs à d’autres serres n’ayant pas de certifications afin d’augmenter illicitement leur vente de fleurs certifiées. Voici une autre illustration de la difficulté de faire du commerce équitable avec ce type d’entreprises. Il ne s’agit pas de générer du cynisme et de la méfiance envers le commerce équitable, il s’agit plutôt de retourner à ses bases. Qu’est-ce que nous voulions encourager avec celui-ci et surtout avec quels types de producteurs et de productions voulions-nous le faire?

Trouver des fleurs équitables au Québec?

On ne trouve pas de fleurs certifiées équitables sur le marché québécois à l’heure actuelle, mais  plusieurs entreprises du secteur de la floriculture dans le monde ont adopté différents programmes de certification, des codes de conduite et des normes ISO face aux pressions des acheteurs internationaux.

C’est principalement avec la certification Veriflora et celle de Flor Verde que l’entreprise québécoise d’importation et distribution Sierra Eco fait affaire en Colombie. Au Québec, les fleuristes vendant des fleurs de la compagnie Sierra Eco disent vendre des fleurs équitables, comme l’affirme la compagnie sur son site internet et dans ses publications. Si on se réfère aux normes internationales du commerce certifié équitable, ces fleurs ne respectent pas les critères de certification équitable. Sierra Eco fait principalement affaire avec la certification  Veriflora qui dit garantir des standards de production plus écologique et respectueux de la santé des travailleurs. Quand ces normes sont respectées, elles sont certes un pas dans le bon sens, mais ces fleurs ne sont guère certifiées équitables.

Malheureusement, les programmes de certifications tels Veriflora ou Rain Alliance Forest (sigle de petite grenouille que vous retrouvez sur certains chocolats et thés) n’incluent pas de normes sur les journées de travail ou alors leurs mécanismes d’audit et de supervision ne permettent pas de le vérifier. Il est aussi extrêmement difficile de faire respecter, par ces certifications, le droit à la libre-association si malmené en Colombie, mais aussi dans la majorité des pays du monde.

 Selon nos partenaires en Colombie, toutes les entreprises, même celles qui sont certifiées, font un usage abusif de la sous-traitance afin de ne pas avoir à assurer des charges sociales pour le travailleur et de pouvoir mettre fin à son contrat à tout moment sans compensation. Les certifications sociales s’adressent aux employés permanents des serres. Mais qu’en est-il si année après année, ceux-ci sont moins nombreux et remplacés par des contrats de courtes durées sans avantages sociaux? Il peut être normal que des contrats de sous-traitance soient utilisés à l’occasion pour l’embauche de personnel supplémentaire pour la St-Valentin par exemple, mais le problème c’est qu’ils sont maintenant utilisés toute l’année.

Selon la Corporation Cactus, les certifications sociales et écologiques sont très souvent des initiatives patronales visant à redorer l’image du producteur pour ses clients étrangers. Les travailleurs ne sont presque jamais impliqués dans l’application des dites améliorations et connaissent peu ou pas le cadre entourant les certifications, ni n’ont accès à un processus de plaintes confidentielles bien qu’au niveau de l’environnement et de la santé humaine, elles puissent représenter une amélioration. Seule la certification équitable prévoit que soit formé un comité de travailleuses et travailleurs pour voir à l’application de la certification.

Pas facile de s’y retrouver entre toutes ces certifications privées!

Peut-être cela nous indique-t-il qu’elles ne sont pas une panacée. Avant de confier sans vigilance le respect des droits du travail à des certificateurs qui effectuent des visites annoncées une fois par année, il serait intéressant de travailler à renforcer la défense et la force d’organisation des travailleuses et travailleurs afin qu’ils soient en mesure de défendre eux-mêmes les normes inclues dans ces certifications et, peut être, d’exiger que l’État fasse son travail de protection des droits dans leur secteur sous peine de sanctions commerciales ou d’accords commerciaux contraignants de la part de pays importateurs…  Le récent accord de libre-échange Canada-Colombie ne s’est guère intéressé au respect des normes du travail en Colombie.

De son côté, bien qu’il continue l’aide juridique auprès des travailleurs dont les droits ont été bafoués, notre partenaire Cactus décrie l’accord de libre-échange et a maintenant décidé de se lancer dans l’appui de projets pour la souveraineté alimentaire auprès d’ex-travailleuses de l’industrie. Une façon de reconquérir un territoire agricole perdu au profit de l’exportation d’un produit de masse.

En conclusion, on peut se demander si la place du commerce équitable est dans ce genre de grandes industries multinationales aux exportations par avion plutôt polluantes ou auprès des petits producteurs écologiques en recherche de marchés équitables? Y a-t-il d’autres moyens d’appuyer l’amélioration des conditions de travail dans cette industrie? La réflexion est lancée.

Pour plus d’informations ou pour réagir à cet article, consultez le www.cdhal.org/fleurs ou écrivez-nous à fleurs@cdhal.org

Sarah Charland-Faucher est responsable de la Campagne pour le respect des droits des travailleuses et travailleurs des fleurs du CDHAL depuis 2006. Elle a travaillé dans différentes organisa­tions sociales et réside désormais à Rimouski où elle s’intéresse à la mise en place de projets de développement agroécologique.

Revue Caminando, vol. 28 2585 2013-08-16 00:00:00