Publié par Emilia Delfino, Mongabay, le 29 juin 2025
Faits marquants :
- Vidalina Morales est présidente de l’Association pour le développement économique et social de Santa Marta (ADES).
- Elle est une figure de proue de la société civile et de la lutte contre l’exploitation minière dans son pays, où le gouvernement de Nayib Bukele a encouragé le retour de l’exploitation minière métallique, interdite dans le pays depuis 2017.
- Être défenseure de l’environnement au Salvador « n’est pas une tâche facile », affirme Mme Morales dans un entretien avec Mongabay Latam, et elle pointe du doigt non seulement le pouvoir politique, mais aussi « ceux qui prétendent développer des projets à tout prix, sans tenir compte du consentement des communautés ».
- Elle dénonce les détentions arbitraires de défenseurs des droits humains et de militants sociaux.
Vidalina Morales, présidente de l’Association pour le développement économique et social de Santa Marta (ADES), au Salvador, est l’une des militantes sociales incontournables de son pays. Marqué par la violence et les tensions politiques, celui-ci est un territoire hostile aux défenseurs de l’environnement et des droits humains, alors que le gouvernement tente de réintroduire l’exploitation minière après huit ans d’interdiction de cette activité.
Fille d’un père strict, orpheline de mère depuis l’âge de 13 ans, Morales s’est réfugiée dans l’Église catholique pendant son adolescence. « J’ai appris beaucoup de valeurs, et l’une de celles qui m’ont le plus marquée et m’ont beaucoup aidée dans ma vie est la solidarité », affirme-t-elle dans un entretien avec Mongabay Latam depuis les bureaux de l’ONG qu’elle préside.
Mère, épouse, cuisinière de la guérilla pendant la guerre civile salvadorienne des années 80 et du début des années 90, elle a parcouru un chemin difficile avant de se retrouver engagée dans un combat qui dure depuis des années : non à l’exploitation minière.
-Le Salvador a de nouveau autorisé l’exploitation minière. Comment se déroule aujourd’hui la lutte contre l’exploitation minière et ses impacts environnementaux et socio-environnementaux au Salvador ?
-C’est complexe. Il y a eu un changement significatif, malgré de longues années de consensus national autour de la lutte environnementale et de la défense du territoire contre les projets miniers extractivistes. Lorsque le gouvernement est arrivé au pouvoir en 2019, il a commencé à montrer des signes de vouloir procéder à l’exploitation minière et a préparé le terrain : il a rejoint un panel intergouvernemental de pays qui misent sur l’extractivisme et a commencé à démanteler cette lutte menée par les Salvadoriennes et les Salvadoriens. En 2022, la Direction des hydrocarbures et des mines est créée. La même année, un budget de plusieurs millions est alloué à cette direction. Au cours des six dernières années, le ministère de l’Environnement n’a pas été en mesure de dépenser le budget qui lui avait été alloué, ni de réaliser les travaux d’atténuation que la loi lui imposait. Et après avoir dénoncé cette situation pendant toutes ces années, 2021, 22, 23, 24, ce que nous avions dénoncé se concrétise : la menace réelle de revenir sur la loi. Le 23 décembre 2024, cette loi qui autorise pratiquement l’exploitation minière est adoptée. Cette loi a été adoptée en urgence, comme c’est le cas pour d’autres lois. Ce n’est pas une particularité de cette loi. Elle interdit le mercure, un produit chimique déjà interdit dans de nombreuses régions du monde, mais elle n’interdit pas le cyanure. Et bien sûr, nous savons que le cyanure est le principal produit chimique utilisé pour exploiter la mine.
-Vous et vos collègues avertissez depuis des années que cette loi allait tôt ou tard voir le jour. Quel a été le signe avant-coureur ?
-Nous avions de forts soupçons depuis l’adoption de la loi interdisant l’exploitation minière en 2017. Nous disions à l’époque qu’il était important que cette loi interdisant l’exploitation minière métallique soit élevée au rang constitutionnel. Et nous avons fait plusieurs tentatives au sein de l’Assemblée législative. Ces années ont été marquées par une lutte continue. La principale condition était qu’environ neuf députés devaient l’accepter, la présenter à une commission et ensuite l’approuver à la majorité des trois quarts des membres de l’Assemblée. Nous n’y sommes pas parvenus. En d’autres termes, il était impossible à l’époque de convaincre neuf législateurs, malgré l’activité de l’espace connu sous le nom de Mesa Nacional frente a la minería metálica (Table ronde nationale contre l’exploitation minière métallique). Nous n’avons pas trouvé d’écho auprès des législateurs. Lorsque ce gouvernement est arrivé au pouvoir en 2019, si je ne me trompe pas, la législature a changé et tous les législateurs proches du parti sont entrés en fonction. De nouvelles idées. La possibilité que cette loi ait un rang constitutionnel semblait alors encore plus bloquée. À partir de là, nous avons essayé d’alerter le pays et je pense que nous y sommes parvenus. En effet, la question environnementale et la lutte environnementale contre l’exploitation minière ont été reprises par de nombreux secteurs du pays. Il est impressionnant de voir comment l’Église, le monde universitaire et les jeunes ont également élevé leur voix en 2024 pour rejeter l’exploitation minière.
– Puis deux membres de l’ADES ont été arrêtés…
-Les représailles ont suivi. Le 11 janvier 2023, Antonio Pacheco, qui était jusqu’alors directeur exécutif de notre association, a été arrêté. Notre avocat, Saúl Agustín Rivas, qui nous accompagnait dans les procédures judiciaires de notre organisation, a également été arrêté, ainsi que trois autres leaders communautaires de Santa Marta. À partir de l’arrestation de nos camarades, nous avons relevé un autre défi : obtenir leur libération. Comme vous et le monde entier le savez, depuis 2022, nous vivons au Salvador sous un régime d’exception, qui s’est appliqué à nos camarades, sans qu’ils soient membres de gangs ou quoi que ce soit de ce genre. Après plusieurs mois de ce long processus de criminalisation, nos camarades ont été acquittés en octobre dernier. Un tribunal les a acquittés et les a remis en liberté. Nous pensions que cette affaire était close. Cependant, le parquet a fait appel devant une juridiction supérieure, qui a annulé l’audience au cours de laquelle ils avaient été remis en liberté et a convoqué une nouvelle audience qui n’a pas encore eu lieu.
-Vos camarades attendent toujours cette audience…
-Ils sont en liberté. Cependant, par crainte, ils ont dû prendre certaines mesures de sécurité, car un mandat d’arrêt a été lancé et la police et le parquet sont à leur recherche. Les camarades ont donc décidé de ne pas se présenter. Les maisons où se trouvent leurs familles, leurs épouses, ont été fortement harcelées, on les recherche partout dans le but de les retrouver et de les remettre en prison.
-Comment défend-on l’environnement et le territoire dans un climat politique et social hostile comme celui du Salvador ?
– Je dois avouer que ce n’est pas une tâche facile et que je suis de plus en plus convaincue que [les défenseurs] nous sommes des proies faciles pour ceux qui détiennent le pouvoir, mais aussi pour ceux qui prétendent développer des projets à tout prix, sans tenir compte du consentement des communautés, du consentement des secteurs organisés, comme cela a été le cas dans la lutte contre l’exploitation minière dans ce pays. Il y a des moments où j’ai très peur, car j’ai moi-même été touchée. En 2023, mon fils a également été capturé, alors que nous luttions pour la liberté de nos camarades. Des blindés se trouvaient également à proximité du bureau où nous travaillions. Au milieu de tout cela, mon fils a été capturé et accusé d’être un collaborateur de gang. J’ai ressenti cela comme un coup porté directement contre moi. Dans cette lutte, il y a eu beaucoup de visages visibles et j’ai été aux côtés de ces camarades qui ont pris la parole. L’enlèvement de mon fils a donc été comme un coup moral porté contre moi. Cela n’a duré que deux jours, mais ce furent les moments les plus difficiles de ma vie. Si ils ont déjà fait cela, ils sont capables de tout contre moi. Cette année, je vis dans une très grande incertitude, j’ai l’impression qu’on me surveille là où je vis, qu’on me suit à la trace. Beaucoup de gens ont dû fuir le pays. Le niveau de harcèlement, de persécution, est insupportable. Il existe des cadres juridiques totalement pervers pour l’exercice de la défense des droits humains dans ce pays. Des leaders communautaires et des avocats ont été arrêtés.
-Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce cadre juridique ?
-Une loi appelée « loi sur les agents étrangers ». Elle oblige les organisations qui reçoivent des fonds internationaux à s’enregistrer en tant qu’« agents étrangers » et à payer une taxe de 30 % sur ces fonds. Cette loi avait déjà été présentée à l’Assemblée législative il y a trois ou quatre ans, mais elle n’avait pas abouti. Elle a finalement été adoptée en procédure accélérée. Cette loi est extrêmement dangereuse pour la défense des droits humains dans ce pays. Les prisons se remplissent de personnes qui n’ont en réalité commis aucun crime, leur seul délit étant de participer à des luttes collectives, à des luttes environnementales. Le gouvernement tente de justifier cela en affirmant qu’il s’agit de membres de gangs. Mais nous savons qu’il y a des innocents parmi eux.