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Quand territoires riment avec féminismes

Source: Journal des Alternatives

CDHAL, PASC

Des-Terres-Minées !
Des territoires voués à la destruction en lien avec l’activité des auto-proclamés maîtres de cette planète, les nommés humains. Des territoires tâchés du sang de la colonisation, qui se poursuit encore 500 ans plus tard.

Déterminer
Classifier, catégoriser, hiérarchiser. Se dit des êtres que l’on enferme dans des boîtes hermétiques avec des étiquettes.

Déterminé.es
Se dit des personnes ou d’un état relié au fait d’être résolu.es, rempli.es de détermination. Déconstruire, protéger, lutter, rêver, avancer avec confiance suivant des convictions, des idéaux.

La Terre Mère militarisée, assiégée, empoisonnée, où les droits fondamentaux sont violés systématiquement, nous exige d’agir ! Construisons par conséquent des sociétés capables de coexister de façon juste, digne et pour la vie. Joignons-nous et avec espoir, continuons à défendre et à prendre soin du sang de la terre et de ses esprits (1).

Doté d’un cadre législatif et de mesures fiscales favorables aux entreprises extractives, le Canada offre un espace florissant pour les industries minières, pétrolières, gazières et hydroélectriques, autant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’étranger. Le Canada donne une place importante à ces industries tant dans l’horizon économique et social local que dans son intervention sur ces enjeux ailleurs dans le monde. D’ailleurs, au cours de la dernière décennie, le Canada a consolidé son rôle d’acteur majeur dans l’industrie minière mondiale, tant au Sud qu’au Nord. En 2008, le gouvernement du Canada rapportait que 75 % des entreprises minières dans le monde avaient leur siège social au Canada. Les bourses TSX et TXS croissance accueillent le plus grand nombre de sociétés minières au monde et le Canada compte un des plus importants nombres de petites sociétés minières d’exploration.

Au Québec, l’ensemble de l’industrie extractive et énergétique (entreprises pétrolières et minières, transport du pétrole, gaz de schiste, hydroélectricité, foresterie…) est un enjeu majeur du développement, et ce, depuis longtemps déjà. Depuis la colonisation, de nombreuses (si ce n’est toutes) communautés autochtones sont directement et gravement affectées par ces projets. Le Plan Nord est un des exemples majeurs le plus récent de ces développements sans égard à l’environnement, aux communautés affectées, à leurs droits fondamentaux et même à l’économie de la province. L’actualité relative à l’exploitation et au transport d’hydrocarbures révèle que les politiques publiques tendent à faire du Québec un acteur central et une plaque tournante de l’économie pétrolière canadienne. Divers groupes et mouvements sociaux s’organisent pour s’y opposer.

Femmes au cœur des luttes contre l’extractivisme

Que l’on parle des minerais, du pétrole, des rivières ou autres, l’exploitation des ressources naturelles cause des dommages irréversibles à l’environnement et aux communautés. Et les femmes, à travers la construction politique et sociale de leur genre et de leur classe, se retrouvent souvent aux premiers plans dans les luttes pour protéger les populations et les territoires sur lesquels elles vivent. Probablement parce qu’étant les plus affectées par la mondialisation néolibérale, ce sont souvent des femmes, et tout particulièrement des femmes de certaines communautés (autochtones, afro-descendantes, etc.), qui sont massivement présentes dans les luttes concrètes et quotidiennes contre le néolibéralisme sous ses différentes figures, quand elles n’en sont pas les initiatrices de luttes contre les mégaprojets extractifs.

Pensons aux femmes innues qui se sont levées contre le Plan Nord, à la place des femmes à l’Unist’ot’en Camp, aux mouvements de femmes qui luttent contre les projets hydroélectriques et pour la défense des rivières au Brésil (2), au Chili, au Mexique (3) et en Colombie (4). Partout, des femmes se lèvent, portent et construisent des alternatives aux systèmes capitalistes, racistes et patriarcaux : les femmes Mapuche en Argentine s’opposent à l’exploitation d’hydrocarbures sur leur territoire (5) ; en Équateur, le Frente de mujeres defensoras de la Pachamama (6) a décidé de faire entendre la voix des femmes malgré la violence des entreprises minières et de l’État pour les faire taire ; au Guatemala, des femmes comme Maxima Acuña de Chaupe( 7), paysanne péruvienne, et Lolita Chavez (8), leader autochtone du Conseil des Peuples K’iche’s sont devenues, malgré les nombreuses atteintes à leur liberté et leurs droits, des symboles de résistance aux projets extractifs.

Si les femmes sont souvent à l’origine de mouvements sociaux et politiques contre les grands projets de développement minéro-énergétiques, elles n’ont pas une place égale à celle des hommes dans les espaces publics pour faire entendre leurs voix et exprimer leurs visions. Les femmes, affectées directement par les projets de développement font face à plusieurs défis pour défendre les territoires et se faire entendre. Cependant, des exemples concrets issus de partout dans le monde nous démontrent qu’elles prennent les moyens pour s’organiser et renverser le rapport de force qu’elles vivent, vers une plus grande justice sociale.

Les premières affectées par les mégaprojets extractifs

Si « la femme » n’existe pas, c’est-à-dire, si elle existe à travers des rapports sociaux de pouvoir, le groupe social « femmes » vit des impacts différenciés d’un modèle économique basé sur l’extractivisme. Et si elles se lèvent et s’opposent, c’est aussi parce que les mégaprojets extractifs, un fer de lance des politiques néolibérales, ont souvent des impacts spécifiques sur elles, tels qu’une hausse des inégalités socio-économiques, des violences ainsi que des impacts spécifiques sur la santé et sur la conciliation travail-famille ou sur le travail non monétaire, etc. Pour les femmes, l’implantation des projets minéro-énergétiques de grande échelle s’accompagnera souvent d’une vulnérabilité particulière à être dépossédées de leurs terres ou moyens de subsistance. En effet, l’implantation de mégaprojets minéro-énergétiques entraîne des changements majeurs dans les communautés et transforme les relations avec la nature, les relations de travail, les liens communautaires et les rôles sociaux.

Ces impacts ne se traduisent pas de la même manière pour chaque personne ou groupe social. Des facteurs comme le genre, l’âge, la classe sociale, l’appartenance ethnique ou le fait de vivre en milieu rural ou urbain, entre autres, influenceront les impacts vécus. Les analyses féministes de ces enjeux, à la différence d’autres courants, conçoivent les rapports sociaux de sexe, de genre, de « race » et de classe dans un ensemble et de façon interreliée. Les intersections se conjuguent : des femmes autochtones, entre autres, connaîtront des impacts spécifiques.

Les stratégies de survie utilisées par les femmes dans différents espaces et territoires sont constamment menacées par les intérêts économiques des grandes entreprises et du capital. Ces intérêts exacerbent les inégalités puisque les grands projets d’infrastructure tels que les barrages hydroélectriques et les autoroutes priorisent la circulation de capitaux et de marchandises aux dépens des conditions de vie des communautés. L’accès à l’eau, à l’énergie et à la terre pour la production d’aliments et pour préserver la biodiversité sont des éléments qui garantissent la préservation de la vie et représentent un réel enjeu pour les femmes.

Le modèle de développement prôné par la mondialisation néolibérale, dans lequel l’extraction des ressources naturelles occupe une place importante, priorise en général la création d’emplois dans des secteurs dits masculins. En temps de crise et de chômage, les politiques néolibérales d’ajustement structurel imposent par ailleurs de graves coupures budgétaires, accroissant ainsi leur précarité et favorisant leur privatisation et la réduction de la couverture sociale. Ainsi une grande partie du travail de soin est transposée dans la sphère privée et doit se faire à domicile, une responsabilité qui tombe principalement sur les épaules des femmes.

Néanmoins et heureusement, les femmes, au sein d’une classe sociale structurée par des rapports de domination et d’oppressions à détruire, désorganisent la cadence…

Des-terres-minées ! est un projet de partages et de documentations des réalités vivantes qui parcourra différentes régions du « Québec ». Nous souhaitons ouvrir des espaces de parole et de réflexions collectives, à travers des perspectives féministes anticoloniales, sur les thèmes du territoire et des enjeux extractifs. À travers différents outils comme les marionnettes, le théâtre-forum, des cercles de discussions, la réalisation de capsules vidéos, etc. nous réaliseront une tournée au printemps 2016 pour favoriser les analyses féministes de ces enjeux, donner la parole aux femmes comme à toute personne vivant une oppression basée sur le genre et qui souhaitent réfléchir, partager, penser, échanger sur leurs vécus en lien avec l’exploitation du territoire.

1- Extrait du discours de Berta Cáceres, du Conseil civique des organismes populaires et autochtones du Honduras et leader du peuple autochtone Lenca, à l’Opéra House, San Francisco – Californie au moment de recevoir le Prix Goldman, le 20 avril 2015
2- http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/360360/des-femmes-autochtones-denoncent-le-plan-nord
3- Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB – Brésil). 2015. Les contradictions du modèle énergétique et la violation des droits humains chez les femmes affectées par les barrages. Caminando, vol. 30, p. 16-18.
4- Hidalgo, R., Paré, L. et Torres, B. 2015. Les voix de la rivière. La participation des femmes dans la lutte contre les mégaprojets hydroélectriques dans l’État de Veracruz, Mexique. Caminando, vol. 30, p. 19-21. Voir également le Mouvement mexicain des personnes affectées par les barrages : http://www.mapder.lunasexta.org/
5- Rios Vivos. 2014. Autres acteurs du conflit armé en Colombie : reconnaître les victimes des mégaprojets extractifs. Caminando, vol. 29, p. 21-24.
6- Piñeiro Moreno, N. 2015. Pour six, elles sonty des milliers. LA lutte d’une communauté Mapuche d’après la force de ses femmes. Caminando, vol. 30, p. 45-48.
7- Solano, L. 2015. Femmes, violences et industrie minière. http://liguedesdroits.ca/?p=2826
8- Voir : http://redulam.org/defensora-del-ano-2014-maxima-acuna-de-chaupe/
9- Voir : http://redulam.org/defensora-de-febrero-2015-lolita-chavez