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Pourquoi ne pas acheter les fleurs de la Colombie… certaines réflexions

L’INDUSTRIE DES FLEURS EN COLOMBIE EST CONSIDÉRÉE COMME L’UNE DES PLUS IMPORTANTES ACTIVITÉS GÉNÉRATRICES DE RICHESSE ET D’EMPLOI; ET L’UNE DES INDUSTRIES RECEVANT LE PLUS DE SOUTIEN DU GOUVERNEMENT,  MAIS D’UN AUTRE CÔTÉ, EST UNE ACTIVITÉ QUI NE FAVORISE PAS LE BIEN-ÊTRE DES TRAVAILLEURS NI LES COMMUNAUTÉS IMPLIQUÉES.

PAR CAROLINA BELTRÁN-RODRÍGUEZ

Pour la Colombie, l’industrie des fleurs est l’une des plus importantes sources de revenu. Ceci s’explique par l’augmentation des exportations expérimentée par la Colombie depuis le début des années 1970, l’ouverture de nouveaux marchés grâce à l’implantation des politiques néolibérales en 1991, appelées « apertura económica », et l’arrivée des nouvelles technologies¹. Les gouvernements du pays ont donné plusieurs subventions afin de stimuler cette industrie (agriculture commerciale) qui se trouve dans la catégorie des exportations non-traditionnelles. En effet, la Colombie a historiquement une tradition d’exportation de café, pétrole et banane.

En raison des conditions climatiques équatoriales requises pour la culture des fleurs, la majorité des serres de production se trouvent en Colombie, en Équateur, au Kenya, en Éthiopie ou encore en Ouganda2. La Colombie est le deuxième producteur de fleurs coupées du monde. Selon le syndicat des producteurs des fleurs Untraflores, la Colombie en 2007 produisait 12% des fleurs, se hissant au second rang mondial juste derrière les Pays-Bas, qui en produit 58%3.

98% de la production finale des fleurs est destiné aux marchés internationaux, générant environ, selon le ministre d’agriculture Juan Camilo Restrepo4 COP$671.338 millions (3.5 milliards de dollars américains) entre les années 2010 et 2011. Toutefois, l’industrie des fleurs se trouve dans une situation d’oligopole (un petit nombre de vendeurs face à une multitude d’acheteurs), ce qui est souvent favorable aux premiers. Les entreprises de production de fleurs en Colombie savent alors tirer profit de leur relations avec les dirigeants politiques et se voient accorder des privilèges sur les impôts, et des avantages en vertu des accords  tarifaires préférentiels avec les États-Unis, notamment l’APTDEA (Andean Trade Promotion and Drug Eradication), et des préférences accordées par l’Union européenne avec le Système général de préférences.

Toujours est-il que les niveaux de revenu des travailleurs/euses ne s’améliorent pas malgré le renforcement de l’industrie des fleurs, et surtout la hausse exponentielle des profits de ces grandes entreprises. Ils ne perçoivent ainsi que le salaire minimum autorisé (qui s´élève à environ 332 dollars par mois soit COP$589.5005). Selon le Département national de statistique de la Colombie, le coût de tous les biens et services de base, que l’on appelle la « canasta familiar », est  d’environ 430 dollars par mois pour une famille de quatre personnes; le salaire d’un travailleur de fleurs ne lui suffit donc pas à répondre aux besoins de sa famille.

Les conditions de travail dans les serres de culture des fleurs sont inhumaines et dégradantes. Les employés/employées doivent rester debout toute la journée, etc. De surcroît, ces contrats de travail passent souvent par des entreprises intermédiaires, ce qui fragilise la situation des employés (instabilité de l’emploi, difficulté à s’associer, faible accès à la sécurité sociale). Ils/elles ne semblent effectivement pas tirer parti de la croissance du volume des exportations, des meilleurs tarifs douaniers ou de l’amélioration des techniques par rapport aux pesticides.

Lorsqu’on examine la structure des familles des travailleurs des fleurs, on peut observer qu’il s’agit souvent de familles monoparentales. Quand il s’agit des femmes, elles doivent parfois chercher un second travail (entretien ménager, vente dans la rue ou travail agricole) afin d’arrondir leurs fins de mois. Il arrive souvent que leurs enfants doivent abandonner leurs études en vue de travailler ou de garder leurs frères/sœurs pour la bonne raison que l’école coûte trop cher.

Il convient aussi préciser que le temps de travail augmente sans que le salaire ne soit à son tour revu à la hausse. En effet, la demande des fleurs augmente sensiblement à des dates comme la fête de Saint-Valentin (qui représente 12% de toutes les ventes de l’année)6 ou la fête des mères, nécessitant une augmentation des heures de travail. Or, ces heures supplémentaires (autour de 10 heures par semaine), ne se voient pas rémunérées monétairement mais par le temps libre équivalent accordé, appelé maladroitement « temps compensatoire »7.

En outre, les conditions de travail des travailleurs et travailleuses des fleurs affectent leur état de santé. Rester debout toute la journée donne lieu à des courbatures et à des douleurs au dos, la répétition de tâches manuelles peut entraîner un endommagement du tunnel carpien, ou encore leur exposition aux pesticides et autres produits chimiques peut poser des problèmes respiratoires, de peau ou de vision.

Par ailleurs, une augmentation de la productivité est exigée des travailleurs et travailleuses non seulement à cause d’une demande croissante des marchés internationaux, mais aussi pour baisser le prix des fleurs colombiennes (afin de les rendre plus compétitives et réduire l’impact de la réévaluation du peso). En effet, la variation positive de la valeur du peso face à une monnaie étrangère (habituellement le dollar américain) peut rendre plus ou moins chers les produits qui sont négociés entre deux économies.

D’après le syndicat Untraflores, l’augmentation de la productivité de chaque employé(e) fut de 70% entre 2006 et 2010. Ce qui veut dire que pour chaque dollar investi dans la main d’œuvre, l’entreprise reçoit 1,70% de profit supplémentaire. Dans les années 1970, la production exigée par travailleur était de 8 lits de fleurs découpées et emballées par jour; elle est aujourd’hui de près de 508.

Les changements de la loi colombienne ont commencé dans la décennie 1990 : le gouvernement a alors développé des stratégies pour créer de l’emploi, mais les entreprises ont profité de ces changements pour diminuer la qualité et la protection de l’emploi, en favorisant par exemple les contrats à durée déterminée (qui peuvent être signés pour 3 mois minimum) et la précarité.

Une autre caractéristique très importante est l’utilisation d’intermédiaires tels que  les entreprises de services saisonniers, les entreprises de management de ressources humaines et les entreprises appelées « coopératives ». Ces entreprises proposent généralement des services à court terme et, par conséquent, ne sont pas des employeurs mais associées de ceux-ci; elles n’ont pas à assurer le paiement des parafiscales (caisses d’aide familiale, fonds pour stimuler l’éducation et centres de bien-être familial) qui auparavant étaient un droit accordé à tous les employés. Cette situation ne permet pas de savoir à quel(s) employeur(s) ils/elles ont affaire. Ainsi, la constitution de syndicats ou d’autres formes de représentation des droits des travailleurs leur est impossible.

Les cultures de fleurs se trouvent pour la plus grande partie (85%) dans la région de la savane à proximité de Bogotá, puis 12% dans la province d’Antioquia et 3% dans la vallée du Cauca. Les cultures près de Bogotá ont entraîné une diminution des autres productions agricoles dans la région. La culture des fruits et des légumes, par exemple, était auparavant fortement pratiquée dans toute la savane de Bogotá. Ce changement a eu alors pour conséquence la précarisation des conditions de vie des producteurs de fruits et des légumes, et l’augmentation des prix de ces aliments, non seulement dans cette région, mais également à Bogotá où était destinée la majorité de ces récoltes.

La culture des fleurs nécessite également de grandes quantités d’eau, qui représentent la consommation actuelle d’une ville de 600 000 habitants. La construction de serres (afin d’y entreposer les fleurs) ainsi que la culture des terrains a fortement transformé les modes de vie des communautés et les paysages de cette zone.

Il existe aussi un problème de contamination du sol à cause des déchets et des produits chimiques qui peuvent affecter d’une manière définitive sa fertilité en s’infiltrant dans la nappe phréatique, ce qui épuise complètement le sol.

De surcroît, les matières végétales imprégnées des pesticides (feuilles, tiges et fleurs qui doivent être rejetés), les plastiques et sacs des autres matériaux ne font pas l’objet d’une bonne gestion de déchets, vu leur impossibilité à être recyclés.

La production des fleurs pour le cas de la Colombie est une activité encadrée par le modèle de production dominant et doit donc répondre aux intérêts et dynamiques du marché international, sans se soucier les impacts sur les droits des travailleurs et travailleuses, la structure du paysage, l’accès à l’eau, la fertilité des sols ou la sécurité alimentaire, entre autres.

Les entreprises de l’industrie des fleurs sont largement avantagées par les changements de la loi sur les politiques d’embauche, les salaires et journées de travail, les accords de préférences pour l’accès aux marchés et les subventions (agricoles, par exemple).

Il est loisible d’affirmer que cette culture des fleurs est source de profit économique (deuxième plus grande source d’exportation de production non traditionnelle). Mais il n’en demeure pas moins qu’elle est la cause d’un dommage humain, environnemental et social qu’il ne faut pas oublier. Plutôt que de contribuer au développement économique, l’industrie des fleurs en Colombie répond aux exigences des marchés internationaux en vue de s’intégrer à la dynamique dictée par les organisations internationales, mais sans inclure les aspects développés dans le présent document.

La culture des fleurs n’est pas une vraie contribution aux problèmes d’emploi qui existent en Colombie. Elle ne saurait être considérée comme un travail réalisé dans de bonnes conditions;  cette activité doit tendre vers plus de justice à l’égard des employé(e)s, de l’environnement et de la communauté en général. Il reste à savoir si l’arrêt de l’achat des fleurs pourrait se révéler être une bonne solution. Mais il est de notre responsabilité, en tant que marché de destination des fleurs colombiennes, de savoir à qui profite cette activité et quelle est la situation derrière chaque fleur.

Carolina Beltrán-Rodríguez est Colombienne, née à Bogotá, et étudiante à la maîtrise en Sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal. Carolina est économiste et a de l’expérience dans le milieu académique et les droits envi­ronnementaux. Elle est maintenant responsable du volet minier au sein du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL).

1             Leonardo Villar et Pliar Esguerra, « El comercio exterior colombiano en el siglo XX », Banco de la Republica de Colombia, 2005.

2             Claire Stam, « La face cachée de l’industrie de la fleur », Novethic, 2009, en ligne : http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/ressources_humaines/conditions_de_travail/industrie_fleur_impacts_sociaux_et_environnementaux_meconnus/120396.jsp

3             Clara Helena Gómez et Carmen Emilia García, « Floriculturas en el Oriente Antioqueño », Escuela Nacional Sindical, 2007.

4             Site Web Asocolflores, 2013.

5             La monnaie de la Colombie est le peso colombien.

6             Site Web Asocolflores, 2013.

7             Clara Helena Gómez et Carmen Emilia García, « Floriculturas en el Oriente Antioqueño », Escuela Nacional Sindical, 2007.

8             Unión nacional de trabajadores de las flores (UNTRAFLORES), « Informe sobre la situación de los trabajadores de las flores en Colombia – Resumen ejecutivo », abril 2013, sur le site d’Untraflores:

                        http://www.untraflores.org/index.php/75-documentos/dossier/407-informe-sobre-la-situacion-de-los-trabajadores