HomeAction urgenteDes organisations canadiennes dénoncent des violations de droits humains de paysan.ne.s à Morona Santiago

Des organisations canadiennes dénoncent des violations de droits humains de paysan.ne.s à Morona Santiago

Action urgente: des organisations canadiennes dénoncent des violations de droits humains de paysan.ne.s à Morona Santiago

12 janvier 2017

Les organisations internationales de solidarité signataires de cette lettre – le Comité pour les droits humains en Amérique latine-CDHAL, Femmes de diverses origines-FDO, l’Alliance internationale des femmes-AIF nous adressons à vous avec une profonde préoccupation concernant les différentes situations qui ont lieu dans la province de Morona Santiago où, depuis plus d’une décennie, la présence de compagnies minières étrangères a bouleversé la vie des communautés locales.

Nous craignons que dans le contexte de l’imposition du projet minier Panantza-San Carlos (des compagnies Corrientes Resources et CRCC-Tongguan Investment – filiales de la société chinoise Tongling Nonferrous Metals Holdings Co., qui dans ce secteur prend le nom de ExplorCobres-EXSA) et de l’expulsion de la communauté Shuar de Nankintz le 11 août 2016, soient également menacés les droits des communautés paysannes qui s’opposent au projet, et que leurs actions de résistance soient réprimées, persécutées et criminalisées, alors que les communautés font face à la militarisation de leurs territoires. Compte tenu des évènements survenus, nous considérons que les droits constitutionnels des communautés affectées sont violés, ainsi que leur droit au consentement préalable, libre et éclairé, avec l’imposition d’un projet qui représente une menace grave pour leurs moyens d’existence au niveau socio-économique, culturel et environnemental.

Par cette lettre, nous souhaitons nous référer à différentes situations survenues dans la région, dans le cadre de l’état d’urgence déclaré le 14 décembre dans la province de Morona Santiago et la militarisation qui l’a accompagné. Plus précisément, plusieurs cas d’intimidation, de criminalisation et de violations de la liberté d’expression envers des dirigeant.e.s d’organisations sociales et populaires de la région, telles que l’Association de paysan.ne.s de Limón Indanza (Asociación de Campesinos de Limón Indanza, ACLI), la Coordination paysanne populaire (Coordinadora Campesina Popular, CCP), le Front des femmes gardiennes de l’Amazonie (Frente de mujeres Guardianas de la Amazonía) et le Front des femmes défenseures de la Pachamama (Frente de mujeres defensoras de la Pachamama.

  1. Censure médiatique

Avant de décréter l’état d’urgence, ces organisations se sont vues nier l’accès aux médias et à la diffusion médiatique de leurs postions et déclarations concernant les évènements survenus dans la région, comme le montre le refus de la radio Voz de Upano (appartenant à Vicariat apostolique de Méndez) de rendre public leurs informations. Le 22 novembre 2016, Lina Solano Ortiz, membre du Front des femmes défenseures de la Pachamama, de la CCP et Présidente de l’Union latino-américaine des femmes (Unión Latinoamericana de Mujeres, ULAM) a formellement demandé au directeur des médias, le Père Marcos Cuenca, d’informer l’opinion publique de la déclaration des organisations à propos de ce qui est arrivé dans le secteur nommé Nankintz. Sa demande a été refusée, au motif que « les informations sur l’affaire en cours sont strictement confidentielles comme l’a manifesté le Gouverneur », portant atteinte au droit à la liberté d’expression et d’opinion et au droit d’accès à l’information et imposant la censure des médias.

2. Persécution et criminalisation des dirigeants de l’Association de paysan.ne.s de Limón Indanza

Le 13 décembre 2016, Manuel Peláez Mayta, Vice-président de ACLI, a été convoqué avec d’autres membres de cette organisation par des fonctionnaires publics (tenencia política) de San Miguel de Conchay et a été soumis à un interrogatoire par des fonctionnaires qui ont affirmé faire partie du Ministère de l’Intérieur, de la Commission Nationale de Police (Comisaría Nacional de Policía) et d’un « comité citoyen » (« Comité Ciudadano »). Ceci s’est déroulé quelques jours avant la « Marche Paysanne pour la Terre, les Droits et la Souveraineté » (Marcha Campesina por la Tierra, los Derechos y la Soberanía) – mobilisation légitime, pacifique, et légale comme l’ordonne la Constitution des Droits à la Résistance – prévue pour le dimanche 18 décembre par l’ACLI et la CCP, en opposition au mégaprojet minier Panantza-San Carlos. La façon dont l’interrogatoire a été menée, sans la présence d’un.e avocat.e, de même que la manière dont a été faite la convocation, montre la violation flagrante des dispositions relatives au respect d’une procédure régulière tel que prévu et garanti par la loi, ayant selon toute vraisemblance eu pour but de discréditer la légitimité et les actions de la ACLI.

Le 18 décembre, alors que l’état d’urgence était en vigueur, Manuel Peláez Mayta a été détenu au moment où il rentrait chez lui à San Miguel de Conchay. Après la vérification par la police d’un véhicule de transport public, il a été identifié par son nom et a été conduit par des policiers qui l’ont soutenu par les deux bras et escorté par de nombreux policiers et militaires. Les officiers des forces policières et militaires ont exigé qu’il leur ouvre les portes de sa maison et ont fouillé sa maison à la recherche soi-disant d’« armes ». N’ayant rien trouvé, ils l’ont conduit à sa ferme pour y réaliser la même procédure sans qu’ils ne trouvent ce qu’ils prétendaient chercher. M. Peláez a été libéré suite à l’incident, faute de motif légal pour sa détention.

Il faut ajouter à cela l’ensemble des calomnies, fausses accusations et intimidations dont a été victime le dirigeant de l’ACLI. D’une part, M. Polibio Tapia, président du Conseil paroissial de San Miguel de Conchay, qui a montré un appui constant au projet Explorcobres, l’accuse d’avoir embauché des personnes pour l’assassiner et de lui avoir volé du bétail, allégation pour laquelle M. Peláez a été convoqué le 9 janvier dernier pour délit présumé d’« abigeato ». D’autre part, M.Peláez a aussi fait l’objet de fausses accusations de la part de M. Juan Carlos Mogrovejo Suconota (travailleur d’EXSA) et de Mme María Ermelinda Peláez Mayta (pro-mine), qui disent avoir été menacés par Manuel Peláez, selon les plaintes déposées à son égard classées comme « intimidation » par les autorités.

3. Perquisition d’habitations et intimidation de paysan.ne.s

Plusieurs personnes ont subi de l’intimidation de la part des autorités alors que leur maison a fait l’objet d’une perquisition. Le 17 décembre vers 9h, 250 effectifs militaires et policiers armés sont arrivés à San Miguel de Conchay et ont commencé à entrer dans les maisons des paysan.ne.s par groupes de 20 officiers, fouillant les maisons de manière contraire aux dispositions prévues par la loi. Parmi les cas documentés et dénoncés, notons les perquisitions de la demeure de Mme Teresa Mayta (âgée de 80 ans, elle est la mère de Manuel Peláez), survenue le 17 décembre 2016, et celle de Mme Rosario López, survenue le 18 décembre. Les deux sont membres de l’ACLI et de Front des femmes gardiennes de l’Amazonie (Frente de Mujeres Guardianas de la Amazonía). Rosario López a par ailleurs été arrêtée arbitrairement le 18 décembre alors qu’elle s’apprêtait à monter à bord d’un autobus pour se rendre à Cuenca afin d’assister à une conférence de presse prévue dans cette ville le lendemain. Elle fut par après remise en liberté.

Le cas de M. Luis Quiroga a également été rendu public. M. Quiroga est lui aussi membre de l’ACLI et a été arrêté arbitrairement le 17 décembre alors qu’il se rendait à bord de son véhicule à San Miguel de Conchay. Suite à ce que ses papiers aient été révisés et que l’intérieur de son véhicule ait fait été examiné, les autorités l’ont laissé partir. Le lendemain, lorsqu’il est arrivé à son domicile à San Miguel de Conchay en fin de journée, il a trouvé les portes forcées et le domicile sens dessus dessous. Il a demandé à sa fille de prendre une photo comme preuve de la manière dont il avait trouvé sa maison et a fait une plainte aux responsables de l’opération. Les militaires, fusil en main, l’ont obligé à effacer la photo de son téléphone.

* * * * *

Ces faits montrent une situation d’intimidation et de harcèlement policier et judiciaire envers les leaders des mouvements sociaux et paysans avec l’objectif de faciliter l’installation du mégaprojet minier, dans un contexte de risques élevés de violences et de conflits.

Dans l’objectif d’éviter que d’autres violences soient commises et d’assurer le respect des droits humains des membres des groupes sociaux ainsi que des communautés affectées par le projet d’Explorcobres, nous exigeons la dérogation immédiate de l’état d’exception et le retrait des forces armées de la zone, l’arrêt immédiat des actes d’intimidation et de criminalisation contre les dirigeantes et dirigeants des mouvements paysans de la région et l’ouverture urgente d’un espace de dialogue avec les communautés affectées sur la base du respect intégral des droits humains.

Au vu de ce qui précède, nous suivrons de près ce cas et demeurons à l’affût de toute situation qui puisse se présenter en ce qui concerne le respect des droits humains et l’intégrité des membres des organisations mentionnés et des autres groupes sociaux voyant leurs droits constitutionnels fragilisés en raison de l’implantation du projet minier Panantza-San Carlos. Nous vous saurons gré de nous maintenir informés des actions que vous entreprendrez sur ce sujet.

Cordialement,

Le Comité pour les droits humains en Amérique latine – CDHAL

Femmes de diverses origines – FDO

Alliance internationale des femmes – IWA